Figure incontournable de la rentrée artistique new‐yorkaise, Tali Lennox présente en septembre sa nouvelle exposition solo. Avec son imaginaire fantastique, elle sublime la complexité humaine. Rencontre.

L&rsquo;exposition &agrave; ne pas rater de la rentr&eacute;e new-yorkaise se tient &agrave; la Meredith Rosen Gallery, &agrave; quelques enjamb&eacute;es de Central Parc et du Met. Tali Lennox, artiste britannique de 26 ans bas&eacute;e &agrave; New York, pr&eacute;sente en septembre ses nouvelles s&eacute;ries de peintures &agrave; l&rsquo;huile, des toiles sombres et fantastiques.

Si son nom vous dit quelque chose, c&rsquo;est que&nbsp;la jeune artiste est la fille d&rsquo;Annie Lennox, moiti&eacute; iconique de&nbsp;Eurythmics, duo pop anglais des ann&eacute;es 1980 qui nous a donn&eacute; l&rsquo;ind&eacute;modable Sweat Dreams. Si son visage&nbsp;vous rappelle quelqu&rsquo;un, c&rsquo;est qu&rsquo;avant de se confiner dans son atelier de peinture, Tali Lennox a mis sa&nbsp;beaut&eacute; au service de la mode et a pris la pose pour Christopher Kane, Prada, Miu Miu ou encore Burberry.&nbsp;Depuis ses premiers pas sur le catwalk, Tali&nbsp;s&rsquo;est forg&eacute; un pr&eacute;nom et a rel&eacute;gu&eacute; le mannequinat.&nbsp;D&eacute;sormais, elle se consacre pleinement &agrave; la peinture, nous fait-elle savoir, balayant nos questions&nbsp;sur sa carri&egrave;re dans l&rsquo;industrie de la mode. Et c&rsquo;est tant mieux: en mati&egrave;re d&rsquo;art, la jeune femme a autant&nbsp;de talent que d&rsquo;histoires &agrave; raconter.

CARNAVAL DES &Acirc;MES

Le sourire est carnassier et jaune, sinc&egrave;re mais un rien inqui&eacute;tant pour ce clown en habit de satin. Ainsi va l&rsquo;univers&nbsp;de Tali Lennox : tragicomique et fantastique, o&ugrave; les vampires c&ocirc;toient les sir&egrave;nes sous les traits surr&eacute;alistes&nbsp;et aff&ucirc;t&eacute;s de la peintre britannique. &ldquo;La s&eacute;rie pour l&rsquo;exposition est inspir&eacute;e des cirques du pass&eacute;, nous&nbsp;donne-t-elle en avant- go&ucirc;t. Un carnaval surr&eacute;aliste d&rsquo;&acirc;mes endolories par la nostalgie et qui se battent avec la r&eacute;alit&eacute;.&rdquo;&nbsp;Tali Lennox construit ses peintures comme des pi&egrave;ces de th&eacute;&acirc;tre. Elle trouve ses mod&egrave;les dans des livres&nbsp;puis pense les costumes et accessoires pour cr&eacute;er une histoire autour d&rsquo;images jamais fig&eacute;es. &ldquo;En ce&nbsp;moment, je travaille sur une peinture dans laquelle mon ami incarne un voyant dans un cirque des ann&eacute;es 1920,&nbsp;raconte-t-elle. Le voyant&nbsp;est us&eacute;, son esprit est fatigu&eacute; de lire l&rsquo;avenir de tant d&rsquo;&eacute;trangers entr&eacute;s dans sa tente&nbsp;en qu&ecirc;te de r&eacute;ponses. De mani&egrave;re tragique, il a perdu le contact avec lui-m&ecirc;me. Il s&rsquo;affiche dans des&nbsp;v&ecirc;tements richement orn&eacute;s, des tenues de style oriental et un maquillage lourd.&nbsp;Le voyant peut lire le destin des autres mais ne veut pas conna&icirc;tre le sien.&rdquo; Des imaginaires fantastiques et surtout m&eacute;taphoriques, un &eacute;clairage&nbsp;surr&eacute;aliste comme une fen&ecirc;tre sur la profondeur de nos &acirc;mes. &ldquo;Dans la mythologie, ces cr&eacute;atures sont l&agrave;&nbsp;pour raconter des histoires qui nous informent sur nos propres r&eacute;alit&eacute;s. Je veux que les spectateurs voient dans&nbsp;mon travail un reflet d&rsquo;eux-m&ecirc;mes, pas seulement de l&rsquo;&eacute;trange ou du bizarre.&rdquo;

Dans une autre de ses &oelig;uvres affich&eacute;es sur les murs de la Meredith Rosen Gallery, une femme &acirc;g&eacute;e pose le&nbsp;visage par&eacute; de maquillage outrancier et affiche son corps dans une tenue jeune et sexy .&nbsp;Derri&egrave;re elle, un vampire dont on ne voit pas les yeux mais seulement les crocs luisants. Il tient dans ses&nbsp;mains une bo&icirc;te contenant une figurine cass&eacute;e de danseuse ballerine. &ldquo;Je voulais raconter l&rsquo;histoire d&rsquo;une&nbsp;femme qui se languit d&rsquo;une jeunesse pass&eacute;e, qui se bat contre le temps alors que le d&eacute;clin est in&eacute;vitable,&nbsp;d&eacute;taille Tali Lennox. Le mod&egrave;le de cette peinture est Linda Leven. &Agrave; 77 ans, elle esp&egrave;re toujours trouver&nbsp;le succ&egrave;s en tant que mannequin, et a &eacute;chou&eacute; dans sa jeunesse &agrave; devenir ballerine &agrave; New York. Le vampire&nbsp;qui se tient derri&egrave;re elle est le symbole d&rsquo;un d&eacute;sir d&rsquo;&eacute;ternel, buvant du sang pour combattre la vieillesse et la mort.&rdquo;

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L&rsquo;EXP&Eacute;RIENCE DE LA MORT ET DE LA CONSCIENCE

&Agrave; 26 ans, l&rsquo;artiste a la verve po&eacute;tique et la sagesse d&rsquo;une vieille &acirc;me. La mort, elle en a fait l&rsquo;exp&eacute;rience la plus&nbsp;directe et a appris &agrave; vivre&nbsp;avec. En 2015, alors qu&rsquo;elle fait du kayak avec son partenaire, le photographe Ian&nbsp;Jones, sur la rivi&egrave;re Hudson, dans l&rsquo;&Eacute;tat de New York, l&rsquo;embarcation&nbsp;se retourne et Tali et Ian sont emport&eacute;s par le courant. Tali est sauv&eacute;e par des gens qui naviguent sur la rivi&egrave;re. Ian ne survit pas. Tali a alors 22&nbsp;ans. &ldquo;Une mort traumatique est quelque chose qui est en vous, constamment en mouvement, et qui ne sera jamais compl&egrave;tement comprise. Mais j&rsquo;ai l&rsquo;impression d&rsquo;avoir r&eacute;ussi, miraculeusement, &agrave; accepter cette situation, &agrave; comprendre que se battre avec des circonstances qui sont hors de contr&ocirc;le ne fait qu&rsquo;ajouter &agrave; la souffrance. Je me laisse impr&eacute;gner par les gens de passage dans ma vie, et c&rsquo;est pour moi un grand honneur.&rdquo;

L&rsquo;artiste trouve du r&eacute;confort dans la pratique de sa peinture et brise sa solitude avec la compagnie de ses&nbsp;personnages. &ldquo;Lorsque quelqu&rsquo;un avec qui vous vivez et partagez votre vie meurt soudainement, vous pouvez&nbsp;vous sentir d&eacute;sesp&eacute;r&eacute;ment seule. Mais j&rsquo;ai appris que la peinture est ma partenaire. Je peux passer des&nbsp;jours dans mon studio sans voir personne et ne jamais me sentir seule. Peindre quelqu&rsquo;un transcende l&rsquo;isolement.&rdquo;

Si Tali Lennox a acquis cette sagesse, c&rsquo;est aussi peut-&ecirc;tre parce qu&rsquo;elle a explor&eacute; les limites de la conscience &agrave; travers l&rsquo;ayahuasca, une infu- sion prise lors de c&eacute;r&eacute;monies chamaniques en Am&eacute;rique du Sud et provoquant des hallucina- tions visuelles. L&rsquo;artiste h&eacute;site &agrave; partager son exp&eacute;rience. &ldquo;Je fais attention &agrave; la fa&ccedil;on dont ces sujets peuvent &ecirc;tre per&ccedil;us, pr&eacute;cise-t-elle, avant de se livrer avec pr&eacute;caution. Je pense que les psychotropes ont des propri&eacute;t&eacute;s m&eacute;dicinales puissantes et continues. Utilis&eacute; avec respect et en faisant attention aux doses, cela peut nous aider &agrave; ouvrir nos esprits mais aussi nous soigner, en nous permettant de regarder plus profond&eacute;ment en nous-m&ecirc;me. Ils peuvent &ecirc;tre un outil incroyable pour conna&icirc;tre les diff&eacute;rentes strates de notre existence et &eacute;clairer nos id&eacute;es et nos pens&eacute;es.&rdquo;

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MASQUE R&Eacute;V&Eacute;LATEUR

Par ses traits huil&eacute;s et ses couleurs exag&eacute;r&eacute;es, l&rsquo;artiste explore la complexit&eacute; humaine avec bienveillance et subtilit&eacute;. Elle admire les travaux de la photographe am&eacute;ricaine Diane Arbus, dont la carri&egrave;re s&rsquo;est attach&eacute;e &agrave; la&nbsp;repr&eacute;sentation des communaut&eacute;s marginalis&eacute;es, ou les peintures de Gerald Brockhurst, portraitiste de l&rsquo;&eacute;lite&nbsp;anglaise des ann&eacute;es 1930-1940 qui peignait ses sujets&nbsp;sous des clairs-obscurs. &ldquo;Il a r&eacute;v&eacute;l&eacute; une part de la psych&eacute; f&eacute;minine peu commune dans l&rsquo;art du portrait&rdquo;,&nbsp;s&rsquo;enthousiasme Tali Lennox.&nbsp;Elle-m&ecirc;me a beaucoup peint les femmes dans ses premi&egrave;res ann&eacute;es. &ldquo;J&rsquo;imagine qu&rsquo;en tant que femme c&rsquo;est une &eacute;nergie que je pouvais puiser plus facilement. Je pense aussi qu&rsquo;&agrave; mes d&eacute;buts j&rsquo;essayais de me comprendre, de d&eacute;couvrir ma sexualit&eacute; et de confronter ma fragilit&eacute; et ma honte.&rdquo; D&eacute;sormais, Tali ouvre sa palette &agrave; des personnes non gen- r&eacute;es. Elle a ainsi r&eacute;alis&eacute; une s&eacute;rie de nus avec un mod&egrave;le transgenre dans une imagerie d&eacute;licate o&ugrave; le coquillage se fait symbole de f&eacute;minit&eacute;. Ou une s&eacute;rie repr&eacute;sentant des hommes habill&eacute;s en femmes et maquill&eacute;s et dont on ne saurait dire s&rsquo;ils sont hommes, femmes ou les deux. &ldquo;&Agrave; travers cette s&eacute;rie, je pose la question : lorsqu&rsquo;on porte un masque ou un costume, ne sommes-nous pas plus proches de r&eacute;v&eacute;ler notre v&eacute;rit&eacute; ?&rdquo;

Tali Lennox : "Peindre quelqu’un transcende l’isolement”

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