Pop Culture

Hommage à Johnny Hallyday

L'interprète légendaire de "Que je t'aime", "L'Envie" ou encore "Je te promets" s'est éteint à l'âge de 74 ans. Il y a cinq ans, nous le rencontrions dans son éden de Los Angeles, alors qu'il s'apprêtait à entamer sa 181e tournée... L'Officiel se souvient.
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"Mon Amérique à moi, c’est une route sans feux rouges/Depuis l’Hudson River jusqu’en Californie..." Johnny Hallyday a beaucoup chanté l’Amérique, ses images, sa musique, ses mythes et sa matière. Son Amérique à lui, il l’a d’abord rêvée, puis il l’a vue, il l’a vécue et, à force, tous les clichés sont devenus vrais, exactement comme cette tête d’aigle aux plumes d’Indien Navajo tatouée sur la peau de son bras droit. La liberté, l’Ouest, le blues, les blousons, l’horizon, les décapotables et une lumière belle comme au cinéma en Technicolor ou en noir et blanc flamboyant : on y croit et tant pis si, pour certains, le film a l’air ridicule et trompeur, il est bon d’être dupé pour ne pas errer.

Pacific Palisades

Dans les sixties, Johnny a célébré San Francisco, ses fleurs et ses hippies ; il a traîné ses boots dans les clubs de New York ou Miami, enregistré des hits country à Nashville, emprunté la route 66 en Harley-Davidson ; puis, sur les traces d’Elvis, il a aimé Memphis, Tennessee et joué à Las Vegas, Nevada ; mais aujourd’hui, c’est à Los Angeles que l’homme a vraiment fixé son âme et son être. Dans la Cité des Anges, Johnny est bien chez lui, à l’aise, olympien et radieux. Angelino de cœur, son pouls bat toujours avec et par la ville où on lui a sauvé la vie voilà deux ans. Tout le monde ou presque sait qu’après un accident chirurgical en France, la star fut opérée en urgence à l’hôpital de Cedars-Sinai de L.A., puis ramenée d’entre les morts.

Naturellement, et même si comme Cadet Rousselle notre chanteur avait déjà trois maisons (une villa à Saint-Barth, un chalet à Gstaad, une propriété à Marnes-la-Coquette), c’est donc ici, en toute raison, qu’entre l’océan et les collines, dans le quartier serein et cossu de Pacific Palisades, qu’il a fait construire la demeure où il réside désormais avec sa femme Laeticia et leurs deux filles, Joy et Jade. 

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Si elle n’est pas un palais des mille et une nuits, la grande villa offre cependant tout ce qu’il faut d’agréable et de fondamental à l’existence sous le soleil californien (piscine à débordement et vue plongeante, spa spacieux et stylé, salle de projection cosy, Cadillac Eldorado mauve millésime 1953 devant le portail, etc.) Une maison "à cinq minutes de la plage" que Johnny a voulue "à son goût", c’est-à-dire "familiale" et avec, dans le fond et la forme, "une chaleur assez européenne". L’endroit est heureusement préservé des regards indiscrets et ne figure pas encore sur ces plans touristiques qui recensent à Hollywood tous les domaines visibles des divinités du panthéon cinématographique.

"Ils ne savent même pas que je suis chanteur"
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Il faut dire que la célébrité de Johnny aux États-Unis tient du secret d’initiés. Longtemps, on a considéré Johnny comme une spécialité française inexportable à l’étranger et, paradoxe, ce monument du patrimoine national et de notre histoire collective apparaissait d’abord comme une créature entièrement constituée de références anglo-saxonnes, un hybride modélisé sur d’autres personnages (Jimmy Dean, Presley, Brando), bref, un artefact dont même le pseudonyme fautif (le “y” de
trop) signait la nature impure et l’aspect de pastiche, plus comique que touchant. Il y a malgré tout des Américains qui reconnaissent et arrêtent Johnny dans la rue comme il l’avait confié, étonné, au New York Times : "Ils ne savent même pas que je suis chanteur. Ils me disent : ‘On vous a vu dans L’Homme du train. C’était super, mec !’ C’est très étrange pour moi." Pour autant, il n’est pas prévu à ce jour d’incruster une étoile d’or pour Johnny l’acteur sur la Walk of Fame de Hollywood Boulevard où les seuls noms de french lovers immortalisés dans la pierre restent Charles Boyer, Louis Jourdan et Maurice Chevalier. 

Et c’est justement ce dernier, le zozo à l’accent parigot qui, rencontrant un Johnny ado timide venu le voir avec quelques airs à la bouche, lui donna ce conseil : "Écoute mon garçon, je ne sais pas si un jour tu chanteras sur scène, mais souviens-toi de toujours bien soigner ton entrée et ta sortie. Entre les deux, chante du mieux que tu peux." Ce fut une parole d’évangile pour le rocker en herbe.

La tournée est pour lui

"J’essaie toujours de trouver une nouvelle entrée frappante." Pour son come-back sous le feu musical et public, Johnny ne déroge donc pas à la règle. Sa nouvelle tournée (la 181e depuis le début de sa carrière) débute ainsi fortissimo à Los Angeles par un concert au quasi-intime théâtre de l’Orpheum, (2 000 places à tout casser), salle mythique des années 1920. Une réalité très légitime en apparence : "C’est dans cette ville que je répète avec mes musiciens. C’est toujours là-bas que j’ai travaillé mes spectacles. Et c’est encore plus simple maintenant que j’y vis." Mais au-delà des considérations pratiques, il y a forcément une magie et une fierté à entamer ici son ultime résurrection. Le show, en trois parties, va s’ouvrir avec la chanson toute symbolique Allumer le feu et une section rock’n’roll, puis passer à l’acoustique, avant qu’un orchestre symphonique ne vienne greffer sa partition au groupe mené par Yarol Poupaud, le directeur musical de sa tournée.

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Au programme, trente-huit morceaux de l’idole aux yeux bleus sélectionnés dans un répertoire d’un millier de titres : "On a pris des anciennes et des nouvelles chansons, des années 1970 à aujourd’hui. Pour l’instant, on travaille la rythmique avec les guitares. Ensuite, on ajoutera les cuivres et les chœurs. Ce sera plutôt blues rock, grâce aux cuivres, mais aussi à Yarol qui est guitariste de rock. C’est la musique que j’aime." Il y aura également des reprises en VO d’autres voix enflammées tel le I (Who Have Nothing) de Tom Jones pour le concert donné à New York, le 7 octobre (une première pour le chanteur). Électrifié, ravivé, veillé par un bon ange blond, Johnny a visiblement laissé ses démons de côté, d’ailleurs il ne boit plus d’alcool et ne fume qu’un jour sur deux (les fameuses Gitanes sans filtre qui collent si bien au timbre rauque et puissant). À 68 ans, tout à l’heure, il serait effectivement assez vain de jouer les rebelles au sang chaud, mais l’artiste n’entend quand même pas faire ses adieux à l’action et à la scène (car cette dernière est son “paradis sur terre” vient de confesser celui qui s’est si souvent transfiguré sur les planches, entre la bête et l’ange).

Re-born in the USA

"Exister, c‘est insister" a-t-il déclaré un jour et cet aphorisme digne de Chamfort lui va parfaitement au teint. Un nouvel album est donc sur les rails, ou sur la route, au choix – son 48e en studio –, et sera enregistré cet été, à la faveur d’une pause dans sa tournée mondiale qui, outre la France, passera par Moscou et Montréal. On sait peu de l’opus en développement sinon qu’il sera "à textes" et cultivera les mêmes sonorités que celles des concerts. Y participeront de "jeunes auteurs-compositeurs français et anglais de talent" et Johnny songe même à un retour mélodique "un peu dans l’esprit de Michel Berger et Jean-Jacques Goldman". Quand on sait ce que ces deux-là lui ont offert, deux tubes (Je te promets et Quelque chose de Tennessee) et l’occasion, dans les années 1980, d’une métamorphose salvatrice alors qu’il était alors menacé de ringarditude aiguë, on peut espérer un gentil miracle avant la fin du monde. En attendant la prochaine sortie du monstre sacré, pensons à un titre inédit qui serait adapté à notre Jojo national, maintenant universel. Bon, Living in America, c’est déjà pris (par James Brown), I Love America aussi (par Patrick Juvet), et L.A. Is My Lady a servi (par Frank Sinatra). Alors disons qu’un manifeste humain et sensible, genre Re-Born in the USA, fera l’affaire. De toute façon, on connaît la chanson : Johnny be good !

Texte : Frédéric Chaleil

Photos : André Saraiva

Stylisme : Émilie Kareh

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