La mode entre au Louvre
Au cœur du département des Objets d’art du musée du Louvre, 65 silhouettes mode dialoguent avec les objets historiques de la mythique institution. Un voyage dans le temps entre siècles et saisons, inspirations et savoir-faire, artisans et directeurs artistiques. Une exposition unique que nous raconte Olivier Gabet, directeur du département des Objets d’art du musée du Louvre.
L’Officiel : Il y a vingt-cinq ans, vous avez fait votre premier stage au Louvre. Pensiez-vous y revenir en tant que directeur d’un département ?
Olivier Gabet : Je suis content d’y revenir après avoir exploré beaucoup de domaines et plusieurs formes d’art, notamment aux Arts décoratifs (Olivier Gabet a été directeur du musée des Arts décoratifs de 2013 à 2019, ndlr). Cette façon qu’on avait de mélanger a été une très bonne école.
L’O : Quels sont vos challenges au Louvre ?
OG : Cette exposition en est un. Le département des Objets d’art concerne environ 33 000 objets dont la dimension est, je ne dirais pas plus précieuse, mais dotée d’une autre dimension. Le temps des musées est un temps long, ce n’est pas le temps de la mode ou celui de l’art contemporain qui va de plus en plus vite. Respecter cette longueur et, en même temps, venir de temps en temps l’éveiller par des choses plus événementielles, plus inattendues, est un challenge. Peut-être que les gens diront : la mode, c’est très superficiel et ça n’a pas de sens au Louvre. Moi, je ne crois pas. Le challenge est de réactiver des collections très anciennes que les gens regardent sans vraiment les regarder. La peinture, l’Antiquité, l’archéologie… Ce sont des choses très importantes parce que très statutaires, elles définissent l’identité du Louvre, mais il faut également montrer l’actualité qui s’inscrit dans une histoire très longue. Notre rôle est de montrer à nos visiteurs que si on est passionné, ils peuvent l’être aussi.
L’O : Comment est née l’idée de l’exposition ?
OG : L’idée est assez ancienne. Lorsque Laurence Descartes a été nommée au Louvre, j’étais encore aux Arts déco et on s’était dit qu’à un moment donné il faudrait faire quelque chose entre les deux musées. On a travaillé ensemble sur le Louvre d’Abu Dhabi. C’est une femme que je trouve remarquable, pour qui j’ai de l’affection et beaucoup d’admiration. Et puis, contre toute attente, j’ai été nommé au Louvre. Le Louvre n’est pas un musée de mode, les collections nationales de mode sont conservées au musée des Arts décoratifs, et cela ne changera jamais. Cependant, nous avons pour vocation de présenter la création contemporaine. On le fait avec des peintres, des photographes, des écrivains, des chorégraphes. Alors pourquoi ne le ferait-on pas avec la mode qui est une des choses les plus excitantes dans le domaine créatif aujourd’hui ? J’ai donc changé un peu mon fusil d’épaule et j’ai proposé d’emprunter des pièces franchement modernes et contemporaines directement aux maisons sans passer par les institutions, mis à part la Fondation Alaia et le Musée Saint Laurent qui ont ce statut très particulier. La pièce la plus ancienne de l’exposition signée Cristobal Balenciaga date de 1961, nous avons aussi une robe de Paco Rabanne de 1967, puis la chronologie va jusqu’à aujourd’hui. J’ai conscience que pour le monde de la mode, le musée du Louvre nous emmène vers le passé, mais avec une dimension beaucoup plus contemporaine, avec des maisons ou très jeunes ou très ancrées, avec la volonté de les faire entrer dans le département des objets d’art grâce à des passerelles comme le travail sur les matières, les savoir-faire des métiers d’art, l’inspiration… Laurence Descartes a trouvé cette idée risquée mais excitante. De toute façon, moi, je n’avais pas du tout envie de mettre des robes XVIIIe dans les salles XVIIIe, ça a déjà été fait, pas au Louvre, mais ailleurs.
L’O : Quel a été le mode opératoire ? D’abord l’objet, ensuite la mode, ou le contraire ?
OG : L’exposition a lieu dans les salles du département. Il fallait qu’il y ait une sorte de stature historique parce que la chronologie reste quand même quelque chose de fondamental. Ceci étant, le Louvre étant un vaste musée, on ne commence pas à un point A pour finir à un point Z. Donc on a procédé par entité. Je ne dis pas qu’on possède la chronologie parfaite, mais enfin, on a le Moyen-Âge, la Renaissance, le XVIIIe. On a donc une ossature qui donne la liberté aux visiteurs d’avoir plusieurs entrées. La deuxième chose importante concernait des “mariages obligatoires”. Avant de commencer, j’avais dix œuvres dans la tête que je voyais ici et là. Je me disais “Je veux Jonathan Anderson pour ici, John Galliano pour cela, Karl Lagerfeld ou Maria Grazia pour…” J’avais des idées très arrêtées. Avant de me rendre compte que ce systématisme n’a pas beaucoup d’intérêt dans une exposition. La mode n’est pas là pour documenter les objets d’art, et les objets d’art ne sont pas là pour illustrer la mode. Ce qu’on a voulu, c’est être vraiment dans un rapport, et que les gens se disent : il n’y a pas une chose plus importante que l’autre. Prenez la Renaissance, qui est assez vaste, elle nous a évoqué Viktor & Rolf, Alexander McQueen, Maria Grazia Chiuri, Iris Van Herpen… qui n’en parlent pas de la même façon.
L’O : Parlez-nous de la scénographie de l’exposition.
OG : On la doit à Nathalie Crinière. Avec elle, on a présenté Dior en 2017 au musée des Arts déco, ainsi que les expositions Schiaparelli, Barbie… Elle est pour moi la scénographe qui perçoit, avec le plus de finesse, la mode et son rapport à l’art. Ensemble, on a voulu imaginer une sorte de flânerie qui donne envie de redécouvrir les objets d’art du Louvre et qui permette de voir la mode dans un autre contexte.
L’O : Toutes ces silhouettes sont-elles haute couture ?
OG : Non. C’était la grande question. Au début, je me suis dit : “On est au Louvre, donc on va travailler avec la haute couture”. Ça a marché jusqu’à un certain point. D’abord parce qu’on assiste aujourd’hui à une sorte d’éclatement de ces frontières hiérarchiques. J’ai été, pendant quelques années, au comité de la haute de couture et je sais quelles en sont les règles, et c’est bien de les respecter. Mais en même temps, on est au Louvre, et ce qui compte, c’est autant le savoir-faire que le porter esthétique et artistique. Jonathan Anderson, jusqu’à présent, ne fait pas de haute couture et, pourtant, je considère que, de plus en plus, il en est tout à fait capable. Cette espèce de hiérarchie ne m’a donc pas semblé très pertinente. De plus, il y a toute une génération hyper intéressante – Pieter Mulier, Louise Trotter, Matthieu Blazy, Jonathan Anderson, Erdem également – qui nous amène vers quelque chose de très excitant. Et dans ce moment de crise que connaît ce monde, je trouve que cette exposition arrive à un bon moment. Certaines maisons sont davantage représentées que d’autres, quelques-unes n’y sont pas. On est dans la pertinence. L’important est de montrer que le musée est un lieu de liberté et que la mode exprime cette liberté créative aujourd’hui. Le Louvre, c’est le musée du style, des styles où l’on apprend l’histoire de l’art.
L’O : Qu’est-ce qui est luxe, et qu’est-ce qui ne l’est plus ?
OG : Ce qui ne l’est plus, c’est la consommation à outrance. Les musées conservent beaucoup d’objets de luxe du passé, des choses intéressantes, particulières, avec des matériaux sophistiqués liés à des moments historiques. On est souvent dans l’exception. Mais 80 % de nos œuvres ne disent pas la vérité. On dit une certaine vérité, mais ce n’est pas un panorama très exhaustif et très juste de l’histoire du monde. Quand on revient à ses racines, le luxe est ce qui met à part, c’est une question de style, d’originalité, de création artistique et non de surconsommation, de turnover permanent, c’est quelque chose de posé. À part quelques rares personnes qui achètent l’intégralité d’une collection, beaucoup de gens ont, comme nous, deux, trois, quatre vêtements qui leur vont très bien parce qu’ils se sont fait plaisir en s’achetant une belle chemise ou un beau pull. En fait, c’est ça le luxe aujourd’hui. S’acheter un beau vêtement. C’est une histoire de style, de liberté, d’originalité. C’est pour ça que cette génération qui arrive aux commandes de ces grandes maisons est très excitante. Les premiers qui vont un peu se détendre sur ces questions de communication, d’embargo, du “on ne veut pas être à côté d’untel ou untel”, vont gagner. Je suis sûr de cela.
Exposition “Louvre Couture, objets d’art, objets de mode”, du 24 janvier au 21 juillet 2025 au musée du Louvre.