Que vaut le nouveau livre de Jonas Mekas ?
Il y a des silhouettes dont nous sommes honorés d’avoir été le contemporain – même sans jamais les croiser, juste de les avoir frôlées. Presque centenaire, Jonas Mekas est à peine plus jeune que le cinéma, lui pour qui la caméra a toujours été une excroissance naturelle, captant, captivant, ses contemporains – Warhol, Ginsberg, Ono… et même Jackie Kennedy. Il serait au faîte d’un arbre généalogique dont les plus jeunes ramifications porteraient les œuvres de Jim Jarmusch, Harmony Korine (première époque) ou Nanni Moretti (celui du diptyque Journal intime / Aprile). Sa galeriste parisienne, agnès b., résumait joliment sa personnalité : “Un artiste, un scribe, un gardien de souvenirs.” Habillé de son bleu de travail, pragmatique et humble, Mekas, habité par le souci de ne rien laisser s’échapper du réel, vient de loin, de très loin même : d’une image à jamais confisquée, invisible. Né à Semeniskiai, en Lituanie, le 24 décembre 1922, il assista en 1940 à l’invasion soviétique, immortalisant les chars et les troupes : las, un soldat l’aperçut et confisqua le film. L’année suivante, alors que les nazis succèdent à l’Armée rouge, il rejoint la Résistance, publiant des bulletins regroupant des informations récoltées sur les ondes de la BBC – et tient des journaux intimes. Sa machine à écrire disparaît. Inquiet, il s’enfuit en compagnie de son frère Adolfas, non sans enterrer ses précieux carnets…
Jonas Mekas, A Dance with Fred Astaire,
464 pages, 306 images, Anthology Editions, 48 €.
anthologyeditions.com
* The Guardian (01/12/2012).