Propreté du Geste
Classé 6e à l’ATP en 2022, le joueur canadien est aussi investi sur les courts de tennis que sur le terrain de l’humanitaire. Rencontre avec un champion pas comme les autres.
Je ne suis jamais allé au Québec, mais force est de constater que les Canadiens francophones que je rencontre entretiennent le cliché dans le bon sens, je veux dire qu’il y a en eux une prévenance plutôt rare.
Félix Auger-Aliassime ne déroge pas à la règle. Avant même que l’on discute, à sa manière de vous serrer la pince, de saluer chaque personne présente, de regarder les looks et de choisir tel costume ou tel autre, je le sens déjà : nous avons affaire ici à un joueur de tennis détendu. Premier joueur né dans les années 2000 à intégrer le top 100 en février 2019,il devient sixième mondial en novembre 2022. Il doit son premier titre ATP (en simple) à sa victoire contre Stéfanos Tsitsipás au tournoi ATP 500 de Rotterdam. Bref, on l’aura compris, le droitier de 22 ans ne plaisante pas vraiment.
À peine la discussion entamée, Félix Auger-Aliassime me parle de son engagement humanitaire. Croyez-moi, c’est tout sauf une posture. On pourrait penser qu’il est de bon ton pour les tennismen de choisir une maladie et de reverser une partie de leurs gains pour faire bonne figure. Je n’ai vraiment pas ce sentiment-là avec Félix.
Depuis le 3 janvier 2020, à chaque point qu’il gagne en tournoi, le joueur reverse 5 dollars à l’ONG Care. BNP Paribas triple la mise et ajoute à chaque fois 15 dollars. En2020, Félix Auger-Aliassime a gagné 4904 points. 4969 en2021, 6613 en 2022 et, pour l’instant, 1929 cette année.
Le mécanisme est ludique. Il n’en est pas moins efficace. Le tennisman m’explique avec fierté que cet argent finance directement le programme EduChange mis en place dans la région de la Kara au Togo. Concrètement, le but est d’améliorer la protection des droits des enfants, mais aussi de favoriser l’accès à l’éducation, scolaire et sportive. Crèches, orphelinats et écoles primaires, le programme œuvre à financer les infrastructures, mais aussi le matériel nécessaire.
Félix me raconte son voyage au Togo en décembre 2022.Sans en rajouter, mais avec une émotion certaine, il me dit ce qu’il y a vu, les avancées, les progrès, mais aussi, bien sûr, tout ce qu’il reste à faire. L’idée, chère au joueur, est aussi de permettre aux jeunes adultes qui veulent “partir à l’aventure” au Nigeria ou ailleurs, d’apprendre au Togo un métier qui leur sera utile toute leur vie. Je sens alors que cette idée d’apprentissage n’est pas anecdotique.
Félix est sportif de haut niveau, et, comme tous ses semblables, l’entraînement, la répétition des gestes et la persévérance ont joué dans sa vie un rôle primordial. Avant de parler du tennis, Félix fait un parallèle avec sa pratique, enfant, du piano. Il aimait la musique, bien sûr, mais c’est aussi l’entraînement qui allait avec qui lui parlait. Récemment, avec son ami Yannick Nézet-Séguin, le grand chef d’orchestre québécois, ils ont évoqué les points communs de la pratique du sport et de la musique. Il y a l’entraînement et la détermination. Mais il y a aussi la beauté du geste. Félix explique qu’il veut gagner chaque match, bien entendu, mais que ça ne l’empêche pas d’accorder une large importance à la “propreté du geste” pour reprendre son expression. Le tennis est aussi un spectacle et le joueur en a conscience. Il y a l’arène, le public, et donc une dimension esthétique indéniable.
Assez naturellement, nous en venons à évoquer son rapport à la mode et aux vêtements. Le tennisman avoue avoir souvent changé de style. Il dit apprendre à se connaître peu à peu, s’amuser des agencements des couleurs, des formes. On en revient toujours à cette dimension du spectacle dans sa pratique. Félix m’a longuement parlé de son rapport au Togo justement, d’où son père est originaire. Il m’a dit la double culture, africaine d’un côté, et québécoise de l’autre. Très simplement, il m’a raconté son enfance, et la solitude qui accompagne souvent la vie des tennismen. Félix s’est pourtant toujours senti très entouré. Par ses parents d’abord et par sa sœur, par Nina aujourd’hui, sa compagne, cavalière, qui comme lui partage l’identité des doubles cultures –croate et marocaine pour elle. Je le disais au début, mais je le répète. J’ai été frappé par la tendresse du garçon, par son intelligence aussi, comme si les mots et leur précision, le temps qu’on y accorde, valaient la “propreté du geste”
PHOTOGRAPHIE Pierre-Ange Carlotti
STYLISME Jennifer Eymère
ASSISTANT PHOTO Luka Radulovic
ASSISTANT STYLIST Kenzia Bengel De Vaulx
GROOMING Elodie Aubert
LIEU DE SHOOTING Hôtel Metropole