Hommage à Jeanne Moreau
On la voyait peu à l’écran ces derniers temps et pourtant, on ne peut mesurer ce qu’elle a apporté au théâtre d’abord qu’elle pratique en cachette de ses parents. Elle jouera pour Cocteau et Jean Vilar qu’elle aidera à créer Le Festival d’Avignon. Puis, dans les années 50, viendra le cinéma. Il faudra pourtant attendre Ascenseur pour l’échafaud de Louis Malle où elle joue aux côtés de Miles Davis pour prendre sa place dans le cinéma français. Suivront Roger Vadim, Truffaut, Antonioni, Orson Welles, Jacques Demy, Bunuel, Fassbinder, André Téchiné, Elia Kazan. La liste des réalisateurs à qui elle a prêté son visage et sa voix si particulière est interminable. Une revanche pour celle dont le physique était jugé trop atypique au début de sa carrière. Un physique qui fera pourtant succomber acteurs et réalisateurs, à l’écran comme à la ville. « J’ai séduit beaucoup d’hommes. J’ai toujours été vers des hommes qui avaient du talent. Je n’ai pas eu des amants pour avoir des amants », confiait-elle en 2012.
Si on connaît sa passion pour le cinéma, on parle beaucoup moins de sa place d’icône mode. Sa relation la plus sulfureuse, et sans doute la plus incomprise, a été avec Pierre Cardin, styliste phare des années 60 et homosexuel assumé. Une passion qui durera cinq ans et fera de Cardin le couturier privilégié de l’actrice, qui laissa au placard les toilettes Chanel qu’elle portait depuis des années. « À partir d’Eva, pour une quinzaine de films et plus de dix ans, Jeanne aura choisi des vêtements portant la griffe de Cardin. On la disait sa muse, son égérie », écrit jean Claude Moireau dans sa biographie Jeanne Moreau, l’insoumise. Son rapport au vêtement est tel qu’elle reçoit à Los Angeles en 1966 un « Oscar de l’élégance », reconnaissant qu’elle est la femme la mieux habillée du monde. Lorsque l’on parle d’elle et de mode, on tombe forcément sur cette anecdote mythique où lors du Festival de Cannes, elle est sortie d’une Rolls noire portant un costume blanc de Pierre Cardin. Le magazine France Roche précisait alors : « pour un jour et demi de présence, elle avait apporté dix robes, quatorze paires de chaussures, quinze serre-tête et une demi-douzaine de sacs assortis ».
Excessif sans doute, mais un reflet parfait de son insoumission, de sa volonté de ne faire que ce dont elle a envie. De performer Jeanne en public pour mieux être Jeanne en privé. « Elle comprend une robe. Quand elle la met sur le dos, elle prend aussitôt la démarche, le style qui conviennent : c’est plus rare qu’on ne le croit, même chez les comédiennes », avait déclaré Cardin. On parle d’une époque où il était impossible de séparer le style d’une actrice à l’écran de celui qu’elle porte a dehors. Comme cette gavroche en tweed portée dans Jules & Jim dont elle lancera la mode au début des années 60. De par son style et son cinéma, Jeanne Moreau restera non seulement une actrice émérite, mais aussi la représentation d’une féminité libre et d’une séduction assumée, clope au bec. Nombreux furent ses détracteurs, récemment encore ressortait des termes comme « croqueuse d’hommes » et « mauvaise mère » dans la presse à scandale. « On ne peut pas essayer de faire de soi un instrument un peu rare et être asservi aux autres », répond-elle alors. Insoumise et audacieuse, Jeanne Moreau est un des nombreux exemples de femmes dont on aurait bien besoin de voir peupler les imaginaires.