Qui sont les pionnières de l'art féministe ?
“Il était temps”, s’enthousiasme Penny Slinger. Pionnière de l’art féministe des années 70, elle fait partie des neuf artistes choisies par la commissaire d’exposition Alison Gingeras pour la section Sex Work : Feminist Art & Radical Politics, à la foire d’art contemporain Frieze, en octobre dernier. S’il est question de sexe, l’exposition raconte surtout la censure et les occasions manquées de cette première génération d’artistes féministes.
Poétique et surréaliste, Slinger a connu la “censure radicale” : en 1978, des milliers d’exemplaires de son livre Mountain Ecstasy sont saisis par la douane britannique et brûlés. Un autre livre était en projet avec son éditeur, raconte-t-elle. Annulé. L’un de ses nombreux rendez-vous manqués. Betty Tompkins est plus directe encore. Sur les murs, la série Fuck Paintings, débutée en 1969, des toiles de plusieurs mètres sur lesquelles elle dessine des scènes pornographiques ultra réalistes. Une œuvre longtemps ostracisée, tant par le milieu masculin de l’art contemporain que par les féministes elles-mêmes. “Malheureusement, elles n’ont pas compris sa démarche d’utiliser des sujets qui rappellent la domination des mâles”, raconte son galeriste.
“Le féminisme d’aujourd’hui est inclusif, mais dans les années 70 il était plus militant et pas vraiment ouvert au caractère sensuel et sexuel de la femme”, rappelle Penny Slinger. Pourtant, même aujourd’hui, l’angle choisi par Alison Gingeras – le sexe – ne fait pas l’unanimité. “Réducteur, pense Florence Bonnefous, de la galerie Air de Paris, qui présente le travail de l’artiste américaine Dorothy Iannone. L’artiste parle d’une forme d’amour, de la consécration de soi à la vie.” Même analyse du côté d’Agnieszka Rayzacher, qui présente le travail de la Polonaise Natalia LL. “Sous le régime communiste, le sexe était pourtant hautement politique, reconnaît-elle. On s’attendait à ce que la femme enfante, elle faisait partie du mécanisme.” Natalia LL, elle, préférait montrer le plaisir pour le plaisir. Et des couples lesbiens.
Il y a un an, en Pologne, les femmes descendaient dans la rue pour rejeter l’interdiction totale du droit à l’avortement, déjà très restrictif dans le pays. En janvier, la marche des femmes partait des États-Unis et se propageait en Europe. Pour les artistes, l’époque est prête et le combat toujours aussi important ; tant pis s’il aura fallu attendre plusieurs décennies pour la reconnaissance. “Ça prend du temps de rattraper le retard, reconnaît Dmitry Komis, qui représente Mary Beth Edelson, 84 ans. D’autant que ces artistes ont toujours été en avance sur leur temps.”