L'Italie des écrivains : sur les rives de l’Argentario
Comme on comprend l’amour qui s’abat en foudre seulement des années après, j’ai désigné les rives de l’Argentario comme mon pays de cœur avant de le connaître vraiment. Il m’a paru évident en posant un pied sur le port de Santo Stefano que j’étais chez moi.
Peu de gens savent qu’il existe une Toscane de bord de mer. Jusqu’au xviiie siècle, Porto Ercole était encore une île. Peu à peu, les dépôts d’alluvions ont dessiné deux bandes de sable comme des bras tendus qui se sont agrippés à l’Italie. La lagune d’Orbetello les a liés, eux qui se dévisageaient de loin, elle qui lui avait préféré les Espagnols et les Napolitains avant de se rendre à celui qui la regardait en face. Les maisons, l’énergie, les couleurs ont gardé les empreintes de ces différents passés et en font un lieu chargé de forces contradictoires et pourtant complémentaires.
Entre Porto Ercole et Porto Santo Stefano, les deux villes principales du Monte Argentario, se trouvent des plages de sable aux eaux d’un bleu intense et à la mer mystérieuse et souvent agitée. La Soda, qui s’est débarrassée du site industriel qui lui a valu son nom, a des eaux d’un vert émeraude ; le Cannelle, en partie faite de pierre, ressemble à ces plages immortalisées par le cinéma néo-réaliste, et ma préférée, la Cala dei Tonni, fief de la pêche au thon renommée la Blonde car une inconnue qui s’y baignait a laissé une forte impression aux habitants, s’habille d’eaux cristallines. La côte d’Argentario doit-elle son nom aux reflets d’argent qui naissent sur sa mer à la tombée du soleil ou aux traits noirs des plages ferrifères de l’extrême sud ?
Il faut idéalement prendre un bateau pour accoster sur les îles merveilleuses de Giglio ou d’Elbe. Celle de Montecristo est interdite et deux autres sont des prisons ; là encore, la dualité.
Moi qui n’ai écrit que sur la schizophrénie des êtres, des pays, des religions, je comprends peu à peu pourquoi ce lieu m’a choisie avec tant de force.
J’en ai fait le paysage de mon roman Les promesses, qui va bientôt devenir un film et me vaut le plaisir de chercher les décors que je croyais avoir inventés et qui surpassent de beauté ce que je décrivais. Dans ce même livre, j’ai fait mourir un homme. Car il y a, à mon sens, dans les lieux magnifiques une part de tragique. Les braises peuvent s’enflammer sous le soleil brûlant de cette Toscane secrète qui endort tout le monde mais camoufle le diable. Un diable qui nous régale de pâtes alle vongole, de vins de la région comme le Morellino di Scansano, ou le Bianco di Pitigliano et des viandes à se damner de la Maremme voisine.
C’est à Porto Ercole qu’est mort le Caravage, sur la plage de la Feniglia disent certains, dans la maison de leur arrière-arrière-grand-mère disent cent autres. Il était en attente d’une amnistie papale pour expier son duel meurtrier. Pourtant, il paraît évident qu’on ne vient pas ici pour être pardonné, tout dans ce lieu appelle au péché (gourmandise, paresse et luxure : nous sommes en Italie…) mais au cœur d’une beauté à la grâce divine. Comment ne pas y rêver ses vacances si ce n’est le reste de sa vie ?