Chiara Mastroianni : "au théâtre, il faut parler autrement"
Chiara Mastroianni est une des actrices qui comptent le plus dans le paysage cinématographique français. Son compagnonnage de longue date avec le cinéaste-écrivain Christophe Honoré, et bien d’autres, a solidement installé ce talent précieux, dont le sens des nuances et l’intelligence sensible sidèrent toujours. Pour la première fois, elle sera en mars 2022 sur les planches, dans la nouvelle création de Christophe Honoré, Le Ciel de Nantes.
L’Officiel : Quels sont vos premiers souvenirs de théâtre ?
Chiara Mastroianni : Peines de cœur d’une chatte anglaise, mise en scène par Alfredo Arias, quand j’étais enfant. Les costumes, les masques m’avaient marquée. Et aussi les classiques que l’on voit avec l’école. Mais cela ne m’avait pas inspiré l’envie d’en faire. Cela faisait très longtemps que Christophe Honoré me proposait de travailler avec lui au théâtre, mais j’étais tellement terrorisée à cette perspective que je refusais à chaque fois. Déjà, sans en faire, je fais des cauchemars dans lesquels je suis sur scène et j’oublie mon texte ! Mais j’étais ennuyée de décliner, parce que j’avais très envie de travailler avec lui. J’en avais marre de renoncer à cause de la peur, j’ai donc dit oui à ce projet. De toute façon, quitte à faire de cauchemars, autant faire du théâtre pour de bon.
La pièce devait être jouée l’année dernière, comment avez-vous vécu la situation ?
Une des raisons pour lesquelles j’avais accepté, c’est qu’il était prévu que je remplace Marina Foïs, qui jouait dans la pièce Les Idoles, de Christophe, que j’avais adorée, qui allait partir en tournée en province, et elle ne pouvait pas la suivre. C’était pile avant la première vague du Covid. Il m’avait demandé de reprendre son rôle pour quelques dates, je n’avais pas le temps de flipper, c’était pendant une période courte, tous ces facteurs me rassuraient. Et alors que nous devions commencer les répétitions, tous les théâtres ont fermé. Tout a été repoussé, et finalement ce n’était plus possible de reprendre Les Idoles. Christophe nous a proposé un autre projet. Pour le coup, toutes les données avaient changé. J’avais passé symboliquement une première étape, et finalement j’avais été frustrée de ne pas pouvoir passer à l’acte… On a essayé de garder le cap du travail mais cette pause a un peu relancé mon trac, même si je ne faisais plus de cauchemars… Mais là, ils sont revenus (cet entretien a été réalisé un mois avant la première de la pièce à Lyon, ndlr). Quand on a su qu’on ne jouerait pas avant un an, ça a été dur, je m’étais attachée à la troupe, au rituel de la retrouver tous les jours.
Est-ce qu’avoir fait une tournée avec Benjamin Biolay n’a pas été aussi un facteur dans votre décision ?
Peut-être, mais dans ce cas, il y a des musiciens qui vous accompagnent, on est très enveloppée. On n’est jamais vrai - ment seule, comme on peut l’être sur une scène de théâtre.
Avez-vous le même trac la veille du premier jour d’un tournage ?
Oui, mais le cinéma, c’est un univers que je connais, il n’y a pas de public, et on peut refaire une prise quand on se plante. J’espère qu’une fois lancée, ça ira mieux. Au théâtre, il faut parler autrement, Christophe ne veut pas de micro, ou alors des micros sur pied pour prendre la parole et l’imposer. De plus, il travaille beaucoup sur l’improvisation, un exercice qui ne m’est pas naturel. J’ai la chance de travailler avec des partenaires plus aguerris que moi, ça crée une dynamique.
Auriez-vous accepté une pièce venant d’un autre auteur que Christophe Honoré ?
D’abord, j’adore ce qu’il fait au théâtre, je trouve ça très cinématographique, ça m’est plus familier. Et on a tellement tourné ensemble (six films, ndlr) qu’il y a entre nous un rap - port de confiance totale. C’est son projet qui m’a décidé, j’avais envie de retravailler avec lui, le plus vite possible.
Que pouvez-vous nous dire de votre personnage ?
Je m’inscris dans une fratrie. Les grands-parents de Christophe ont eu huit enfants, nés à peu près à un an d’écart. Je suis la sixième de cette famille. Ce sont tous des personnages que la vie a bousculés, dans un cadre familial pas facile. Je joue une tante dont il m’avait parlé il y a longtemps, pour un personnage auquel il pensait. Il l’adorait. Elle est un peu à l’écart, un peu bord-cadre, elle a eu du mal à trouver sa place. Elle est en apparence plus fragile que les autres, sa vie a fait que ça a été un peu plus compliqué que pour les autres.
Le processus de préparation diffère-t-il de celui d’un film ?
Comme on part de personnages qui ont existé, Christophe a organisé des rencontres avec certains membres de sa famille, pour les interroger sur leurs souvenirs, qui ne se recoupent pas forcément. On a travaillé tous et toutes de la même façon. Comme il s’agissait de sa famille, c’était très particulier, d’autant plus qu’il y a des destins tragiques, donc on 68 n’y allait un peu à tâtons. Mais Christophe nous a incités à ne pas hésiter à lui poser toutes les questions que nous avions à l’esprit. Il nous demandait parfois d’écrire sur notre personnage, de réfléchir à un motif d’improvisation. Au début, je trouvais ça un peu vertigineux, nous répétions dans les décors, je me planquais un peu, il me faisait revenir au centre de la scène… Il m’arrivait de rentrer chez moi et de me dire que je n’y arriverais jamais. Petit à petit, je me suis faite à l’exercice, à parler plus fort, sans avoir peur de sonner faux. Je pense que ces appréhensions ne me quitteront jamais. Ce n’est pas non plus comme si je n’avais jamais joué, mais j’étais sur un terrain totalement inédit, même si j’ai retrouvé le même Christophe que celui que je connaissais au cinéma, ce qui était assez rassurant. Quand les choses prennent forme, l’angoisse s’atténue un peu, tout de même…
Pensez-vous que cette expérience au théâtre va nourrir votre travail au cinéma ?
Oui, et ma vie aussi. Enfin, si tout se passe bien ! Ne pas laisser mes choix être dictés par la peur a été une grande étape…
De quelle mode vous sentez-vous la plus proche ?
Quand j’avais 20 ans, je portais des vêtements que je trouve toujours très beaux, mais que je n’oserais plus forcément porter, je pense. Je suis très sensible aux univers forts et singuliers. J’aime beaucoup ce que fait Nicolas Ghesquière, que je connais depuis l’époque où il était directeur artistique de Balenciaga, Jean Paul Gaultier aussi, pour qui j’ai beaucoup d’affection, les premières robes de créateur que j’ai portées étaient de lui, il a eu une grande importance dans ce milieu mais il est resté très simple. Il y a aussi Julien Dossena pour Paco Rabanne, Nicolas di Felice chez Courrèges, Helmut Lang, Jonathan Anderson chez Loewe, Hedi Slimane, ou la maison Prada. Et aussi Alexander McQueen.
Qu’est-ce qui nourrit votre imaginaire d’actrice ?
Les acteurs, les actrices, les livres, les films. J’ai adoré Onoda d’Arthur Harari, je trouve formidable qu’un film aussi précieux puisse exister. J’aime beaucoup les documentaires de Sébastien Lifshitz, comme Adolescentes et Petite Fille. Ce sont des films qui laissent quelque chose, une atmosphère, des images, qui viennent enrichir et le travail et la vie. On en revient à ma sensibilité aux univers marqués, même dissemblables. Je regarde aussi beaucoup de séries, j’ai trouvé Squid Game assez étonnant, Mare of Easttown, pour Kate Winslet qui est fabuleuse. J’ai adoré Broadchurch, que je n’avais pas vue à l’époque de sa diffusion. Côté plus comique, j’adore Arrested Development, Curb Your Enthusiasm. Et pendant le premier confinement, j’ai regardé tout Walking Dead… J’ai aussi lu tout ce qu’a écrit Florence Aubenas, elle a un style incroyable.
En quelle langue rêvez-vous ?
En français, en général, ou en rien du tout si je rêve que j’ai oublié mon texte ! Et en italien, surtout quand j’étais petite, et que je passais beaucoup de temps en Italie.
Le Ciel de Nantes. Un spectacle de Christophe Honoré. Au Théâtre de L’Odéon à Paris du 8 mars au 3 avril. www.theatre-odeon.eu