Fiat : luxe, patrimoine et modernité
L’industrie automobile est un monde sérieux, soumis à de très sévères contraintes réglementaires et où les constructeurs, pour reprendre les termes un jour employés par l’ancien patron de Renault Louis Schweitzer, “se battent au couteau”. Une expression étonnante venant d’un homme aussi policé (et que l’on imagine assez mal manier le cran d’arrêt), mais qui résume bien l’ambiance qui règne dans les états-majors.
Depuis qu’a éclaté le “dieselgate” Volkswagen en septembre 2015, l’urgence pour les constructeurs est à la réinvention. Le marché du diesel ne cesse de baisser, mais l’essence n’est pas la panacée, même en hybride. Quant à l’énergie électrique, elle reste onéreuse et considérée avec méfiance par les consommateurs.
TU VUO’ FA’ L’AMERICANO
Et la Fabbrica Italiana Automobili Torino (Fiat, donc) dans tout cela? Elle subit de plein fouet ces vents contraires. Si le groupe FCA (Fiat Chrysler Automobiles) fait preuve de dynamisme, il le doit avant tout aux ventes de Jeep, qui profitent à plein de la mode des SUV. La branche américaine affichait une croissance à deux chiffres (11 %) l’an dernier, ce qui lui a permis de représenter 34 % des ventes du groupe, soit 1,5 million de véhicules, contre 30 % à la maison mère Fiat. Jeep est donc le maillon fort de l’entreprise, dans la mesure où FCA réalise la quasi-totalité de ses profits grâce aux États-Unis! Pour une marque qui a en quelque sorte “inventé” la petite voiture populaire avec la 500, première du nom, lancée en 1957, cette nouvelle donne a de quoi surprendre.
Pour autant, le succès de la 500 et de ses dérivés (le SUV 500X et la familiale 500L) ne se dément pas, comme l’attestent les plus de trois millions d’exemplaires vendus depuis le lancement de la gamme en 2007. On peine toutefois à trouver une véritable identité dans la gamme de la marque. En effet, qu’ont en commun la pétillante 500 et la terne Tipo, au style passe-muraille? Cette dernière se vend plutôt bien, mais a été conçue pour braconner sur les terres des marques low-cost type Dacia et ne déclenche guère l’émotion. Or, c’est justement sur ce terrain que l’on attend la marque italienne. D’autre part, Fiat apparaît à la peine sur le terrain des nouvelles technologies. Les constructeurs doivent pourtant investir des sommes énormes dans la R&D (recherche & développement) pour affronter les défis qui s’annoncent avec l’électrification de leurs gammes, à laquelle s’ajoute la mise au point de voitures autonomes. C’est d’ailleurs pour cette raison qu’une fusion avec le groupe Renault, très en avance sur le thème des nouvelles technologies, a failli avoir lieu au printemps, avant de capoter.
CAP SUR L’ÉLECTRIQUE (ENFIN !)
Cette année, Fiat a créé la surprise en rachetant (très cher, les estimations font état de 1,8 milliard d’euros) à l’américain Tesla, spécialiste de l’électrique, ses “droits à polluer”, de façon à éviter des pénalités de la part des autorités européennes. Rien d’illégal dans cette manœuvre, mais c’est une illustration éclatante du retard pris par l’italien quant au respect de la réglementation en matière d’émissions polluantes. D’ailleurs, c’est seulement au printemps dernier que le groupe a officialisé le lancement de motorisations hybrides et électriques dans ses gammes, soit plusieurs années après ses principaux concurrents.
Quelques mois plus tard, Fiat annonçait que son usine historique de Mira- fiori, à Turin, produirait à partir du printemps 2020 une version 100% électrique de la 500, avec pour objectif affiché une capacité annuelle de montage de 80 000 unités.
PANDA, LE RETOUR !
Mais le futur de Fiat, c’est le concept-car Centoventi (120, donc) qui l’incarne le mieux. Celui-ci préfigure une citadine à motorisation élec- trique dont le style cubique et de nombreux détails design rappellent la Panda de première génération. Une voiture à la fois compacte (3,68m) et très fonctionnelle, qui présente la particularité d’être totalement personnalisable. Le véhicule est produit dans une seule livrée grise, mais le client peut ensuite le modifier selon ses goûts et ses besoins, de la couleur de toit au nombre d’unités de batteries électriques qui en augmentent le rayon d’action. Mieux : l’acheteur peut opérer des “mises à jour” stylistiques et techniques tout au long de la vie du véhicule. Un concept malin, parfaitement dans l’esprit de ce que l’on peut attendre d’un constructeur de voitures populaires, et dont il faut espérer que l’industrialisation éventuelle corrompe le moins possible les louables intentions originelles.
En attendant de savoir quelle direction prendra la marque, il y a une chose à faire: prendre la direction de Turin pour y visiter le Heritage Hub* inauguré par Fiat au printemps. Implanté dans l’immense zone industrielle de Mirafiori, cet endroit invite à un savoureux voyage dans le temps, aux sources du mythe Fiat. Sur 15000m2 sont en effet mis à l’honneur plus de 250 Fiat, Lancia et Abarth (les marques turinoises du groupe FCA, auxquelles s’ajoutent quelques Alfa Romeo) de tous styles
et de toutes époques. La scénographie choisie demeure très sobre, avec huit carrés centraux thématiques (modèles sportifs, urbains, concept- cars, etc.) exposant chacun huit modèles (auxquels s’ajoutent des dizaines d’autres garés en épi sur les côtés). C’est un bonheur que de flâner au milieu de modèles hier répandus mais devenus rarissimes sur les routes. De la populaire Fiat Uno aux splendides Lancia O37 en passant par des Fiat 131 de rallye, on ne sait plus où donner de la tête dans ce repaire de merveilles. Ici, même une banale Fiat 127 parvient à titiller la fibre nostalgique du visiteur. Une partie du Hub est également consacrée à la restauration de modèles anciens, dont certains auront vocation à être proposés à la vente. Pour les collectionneurs, le Hub sert aussi de passerelle avec les marques quand il s’agit d’obtenir un certificat d’origine ou de conformité. Comme d’autres constructeurs, Fiat a enfin compris l’intérêt de faire “chanter” le passé. Et quand celui-ci est aussi riche, il aurait été dommage de s’en priver.
JOHN ELKANN, NOUVEAU PRINCE DE L’INDUSTRIE ITALIENNE
Certes, il n’a pas l’exubérance de son frère Lapo. Mais John Elkann est en voie de s’imposer comme une des grandes figures d’une industrie automobile qui manque si souvent d’incarnation. Aîné des huit enfants de la fille de l’Avvocato Giovanni Agnelli, Margherita, il naît à New York en 1976, mais obtient un baccalauréat scienti- fique au lycée Victor-Duruy à Paris (son père était franco-italien), après avoir notamment vécu en Angleterre et au Brésil. Diplômé en ingénierie de l’école Polytechnique de Turin, il parle quatre langues et dit se sentir français quand il se trouve à Paris. Son épouse est Lavinia Borromeo, qui descend de l’une des plus anciennes familles aristocratiques du pays. Trois enfants sont nés de cette union. À la tête d’Exor, la holding familiale qui contrôle notamment le groupe Fiat Chrysler Automobiles, “l’Ingegniere” est aussi président de Ferrari et contrôle la Juventus de Turin. Il a failli prendre au printemps la tête de ce qui aurait pu devenir le premier groupe automobile mondial, fruit d’une fusion entre les groupes FCA et l’alliance Renault Nissan, mais l’affaire a tourné court quand Jaki (son surnom) a estimé que les conversations étaient arrivées “à un point au-delà duquel il devenait déraisonnable d’aller”. Si l’apparence de l’homme est discrète, il a su montrer durant ces négociations (qu’il a menées en français) toute l’étendue de sa détermination.