Elles ont de plus en plus de pouvoir dans l’industrie de l’entertainment. Mais pourquoi doivent-elles toujours autant se battre pour le garder? Enquête sur une nouvelle classe d’Amazones en train de redistribuer les rôles.

Par Juliette Michaud

&ldquo;Si je vois encore un film avec vingt r&ocirc;les masculins et pas un seul f&eacute;minin &agrave; l&rsquo;exception de celui d&rsquo;une &eacute;pouse, d&rsquo;une petite amie ou d&rsquo;une assistante de bureau, je crie !&rdquo; s&rsquo;exclame Natalie Portman. Actrice depuis l&rsquo;enfance, r&eacute;alisatrice, productrice, &eacute;pouse, m&egrave;re et militante pour de nombreuses causes, Natalie, que nous rencontrons &agrave; Los Angeles alors qu&rsquo;elle attend son second enfant, est aussi Jackie (Kennedy) dans le film de Pablo Larra&iacute;n. C&rsquo;est dire si, &agrave; 35 ans, elle poss&egrave;de une influence de premi&egrave;re dame &agrave; Hollywood et compte bien s&rsquo;en servir. Si l&rsquo;industrie hollywoodienne semble enfin avoir ouvert des portes aux femmes, qui sont notamment une des forces les plus cr&eacute;atrices et d&eacute;complex&eacute;es des s&eacute;ries t&eacute;l&eacute; en vogue (Girls, Transparent, Good Girls Revolt), c&rsquo;est parce que la lutte est constante. Il y a deux ans, un article du New York Times intitul&eacute; &ldquo;Women in Hollywood Speak Out&rdquo; r&eacute;v&eacute;lait que, dans la plupart des professions du lm et de la t&eacute;l&eacute;vision, 85 % des employ&eacute;s sont des hommes.&nbsp;

Certes, direz-vous, il y a Jodie Foster. Il y a Sofia Coppola, qui tourne The Beguiled (avec ses muses Kirsten Dunst et Elle Fanning, et aussi Nicole Kidman). Il y a Kathryn Bigelow, la premi&egrave;re femme de l&rsquo;histoire de Hollywood &agrave; avoir remport&eacute; l&rsquo;oscar de la meilleure r&eacute;alisatrice et du meilleur film (D&eacute;mineurs en 2010). Mais, justement, toujours la seule, et avec un film d&rsquo;hommes !

Jennifer Lawrence.

Cate Blanchett.

Lupita Nyong'o.

Emma Watson.

Ava DuVernay.

Reese Witherspoon.

Greta Gerwig. 

Natalie Portman.

Kathryn Bigelow.

&Eacute;galit&eacute; des salaires&nbsp;

&ldquo;&Agrave; ceux dans l&rsquo;industrie qui s&rsquo;accrochent &agrave; l&rsquo;id&eacute;e ridicule que les films dits de femmes et avec des femmes s&rsquo;adressent &agrave; un public r&eacute;duit, c&rsquo;est faux. Les spectateurs veulent voir ces films qui en fait rapportent de l&rsquo;argent. Je vous rappelle que la terre est ronde !&rdquo; Il y a trois ans, le discours de Cate Blanchett, oscaris&eacute;e pour Blue Jasmine, enflamme la salle. L&rsquo;an dernier, Rosanna Arquette se sert &agrave; son tour de la sc&egrave;ne des oscars pour militer pour l&rsquo;&eacute;galit&eacute; des salaires &agrave; Hollywood. Dans la salle, Meryl Streep et Jennifer Lopez applaudissent &agrave; tout rompre. Quelques mois auparavant, un piratage des mails du studio Sony- Columbia r&eacute;v&egrave;le que les actrices sont syst&eacute;matiquement moins pay&eacute;es que les hommes pour un r&ocirc;le &eacute;quivalent. Jennifer Lawrence apprend qu&rsquo;elle et Amy Adams ont &eacute;t&eacute; beaucoup moins pay&eacute;es que Bradley Cooper, Christian Bale et Jeremy Renner dans American Bluff . Jennifer Lawrence &eacute;crit alors son c&eacute;l&egrave;bre &ldquo;Pourquoi je gagne moins que mes partenaires masculins ?&rdquo; sur le blog de son amie Lena Dunham. Une lettre foudroyante contre le sexisme &agrave; Hollywood, qui force les studios &agrave; prendre des mesures imm&eacute;diates contre la discrimination de genre. &ldquo;Quand j&rsquo;ai mont&eacute; ma maison de production, mon r&ecirc;ve &eacute;tait de voir na&icirc;tre des collaborations entre femmes comme il y en avait autre- fois entre Martin Scorsese, Steven Spielberg et Brian De Palma&rdquo;, nous confie Natalie Portman, dont la compagnie Handsome- charlie Films a produit notamment Jane Got Her Gun. &ldquo;Julia Roberts a cr&eacute;&eacute; sa soci&eacute;t&eacute; de production pour les m&ecirc;mes raisons, voir des interactions avec les autres femmes, se sentir unies, et non en comp&eacute;tition.&rdquo; Julia Roberts, Drew Barrymore, Sandra Bullock, Salma Hayek ou Charlize Theron, toutes sont &agrave; la t&ecirc;te d&rsquo;une soci&eacute;t&eacute; de production dont l&rsquo;objectif est de faire travailler le plus possible d&rsquo;autres femmes, devant et derri&egrave;re la cam&eacute;ra. Et &agrave; voir le nombre croissant de femmes &agrave; des postes clefs, il semble que Hollywood ait en n int&eacute;gr&eacute; ce fabuleux vent de solidarit&eacute; f&eacute;minine: Stacey Snider, copr&eacute;sidente de la Fox, Kathleen Kennedy, &agrave; la t&ecirc;te de Lucasfilm, Terry Press, pr&eacute;sidente de CBS Films... Megan Ellison, 30 ans, fille du milliardaire Larry Ellison, a quant &agrave; elle fond&eacute; Annapurna Pictures, et c&rsquo;est elle qui produit le prochain Kathryn Bigelow.&nbsp;

“Si je vois encore un film avec vingt rôles masculins et pas un seul féminin à l’exception de celui d’une épouse, d’une petite amie ou d’une assistante de bureau, je crie !”

Cent millions de dollars&nbsp;

Pour Greta Gerwig, star avec Annette Bening du brillant 20th Century Women de Mike Mills, et qui vient de r&eacute;aliser son premier long-m&eacute;trage, &ldquo;vous ne pouvez pas faire de film sans argent, et vous ne pouvez pas trouver d&rsquo;argent sans avoir des femmes int&eacute;ress&eacute;es par les histoires que nous voulons raconter.&rdquo; Des histoires &eacute;crites par des femmes pour des femmes &ndash; de plus en plus de noms de femmes sc&eacute;naristes s&rsquo;inscrivent aux g&eacute;n&eacute;riques, comme Katie Dippold, qui a &eacute;crit le remake f&eacute;minin de Ghostbusters, The Heat 1 et 2 avec Sandra Bullock, et la prochaine com&eacute;die d&rsquo;Amy Schumer. Chez les monteuses ou les chefs op&eacute;ratrices, mentionnons &agrave; la vol&eacute;e Maryann Brandon, monteuse de Passengers avec Jennifer Lawrence, Maryse Alberti, chef op&eacute;ratrice de Collateral Beauty avec Will Smith et Helen Mirren. Et puis l&rsquo;agent tout-puissant: Hylda Queally, chez CAA. Marion, Cate, Kate, Jessica, Lupita, etc., toutes lui ont confi&eacute; leur carri&egrave;re.&nbsp;

Avec son prochain film, A Wrinkle in Time, Ava DuVernay, la r&eacute;alisatrice de Selma, devient la troisi&egrave;me femme de l&rsquo;histoire de Hollywood (la premi&egrave;re fut Kathryn Bigelow), et la premi&egrave;re Afro-Am&eacute;ricaine, &agrave; tourner avec un budget de cent millions de dollars. Patty Jenkins &ndash; son premier film, Monster, avait fait gagner un oscar&nbsp;&agrave; Charlize Theron &ndash; s&rsquo;est vu, elle, confier cent millions de dollars pour l&rsquo;adaptation de Wonder Woman, avec Gal Gadot dans le r&ocirc;le-titre; pour la premi&egrave;re fois, une femme adapte une bande dessin&eacute;e de DC Comics. Autre information symbolique : c&rsquo;est &agrave; l&rsquo;actrice Elizabeth Banks que Drew Barrymore a confi&eacute; la r&eacute;alisation de la suite de Charlie&rsquo;s Angels.&nbsp;&ldquo;Nous revenons au temps des pionni&egrave;res&rdquo;,&nbsp;fait remarquer Julia Roberts, narratrice du documentaire Makers : Women in Hollywood. La star la mieux pay&eacute;e des ann&eacute;es 1990 y rappelle que, &agrave; la cr&eacute;ation de Hollywood, les femmes s&rsquo;&eacute;taient empar&eacute;es &agrave; bras-le-corps de l&rsquo;art nouveau du cin&eacute;ma, ouvrant des studios, r&eacute;alisant et produisant une quantit&eacute; hallucinante de films de tous genres. Toutes ou presque ont &eacute;t&eacute; oubli&eacute;es. &ldquo;Les femmes ont aid&eacute; le cin&eacute;ma &agrave; triompher. D&egrave;s que c&rsquo;est devenu un business profitable, elles ont &eacute;t&eacute; mises sur la touche&rdquo;, d&eacute;plore Julia Roberts.&nbsp;

“Les femmes ont aidé le cinéma à triompher. Dès que c’est devenu un business profitable, elles ont été mises sur la touche”,

Nouvelles voix&nbsp;

Aujourd&rsquo;hui, dans la lign&eacute;e des grandes rebelles &ndash; Bette Davis ou Jane Fonda &ndash; Jessica Chastain, Queen Latifah, Juliette Binoche et la r&eacute;alisatrice Catherine Hardwicke ont cr&eacute;&eacute; We Do It Together, dont la mission est d&rsquo;encourager de nouvelles voix f&eacute;minines. &ldquo;Les femmes constituent 50 % de la population. Nous devrions aussi repr&eacute;senter 50 % des histoires &agrave; Hollywood&rdquo;, s&rsquo;exclame Reese Witherspoon, devenue &agrave; travers sa soci&eacute;t&eacute; Pacific Standard (Gone Girl, Wild) le symbole de l&rsquo;&eacute;mancipation des femmes &agrave; Hollywood. Reese s&rsquo;est associ&eacute;e &agrave; la soci&eacute;t&eacute; de production de Nicole Kidman, Blossom Films, pour produire Big Little Lies, une r&eacute;jouissante mini-s&eacute;rie (diffus&eacute;e en mars sur OCS) dans laquelle elles jouent aussi, aux c&ocirc;t&eacute;s de Laura Dern, Zo&euml; Kravitz ou Shailene Woodley.&nbsp;&ldquo;Nous avons travaill&eacute; dix-huit mois avec Reese sur cette histoire de cinq m&egrave;res multi-facettes. C&rsquo;est notre b&eacute;b&eacute;&rdquo;, raconte en riant Nicole Kidman, par ailleurs &agrave; l&rsquo;affiche de&nbsp;Lion, de Garth Davis.&nbsp;

Et que dire de la nouvelle g&eacute;n&eacute;ration d&rsquo;actrices parties sur les traces de leurs a&icirc;n&eacute;es ? Alicia Vikander a mont&eacute; Vikarious Productions, qui vient de produire Euphoria, o&ugrave; elle joue la s&oelig;ur d&rsquo;Eva Green. Lupita Nyong&rsquo;o, actrice, productrice, r&eacute;alisatrice, que l&rsquo;on retrouvera dans Queen of Katwe de la cin&eacute;aste Mira Nair (dont elle fut la stagiaire), s&rsquo;investit dans le combat &eacute;cologique, l&rsquo;aide humanitaire et la cause des femmes. Brie Larson sera Captain Marvel en personne, dans le premier Marvel avec une femme dans le r&ocirc;le principal (&eacute;crit par la sc&eacute;nariste Meg LeFauve), et va passer &agrave; la r&eacute;alisation. &Agrave; 26 ans, Emma Watson, &agrave; la t&ecirc;te de la campagne des Nations unies pour l&rsquo;&eacute;galit&eacute; des sexes HeForShe, a pour sa part accept&eacute; de jouer et de chanter dans La Belle et la B&ecirc;te, qui sort le 22 mars, &agrave; condition que le r&eacute;alisateur Bill Condon retravaille le sc&eacute;nario. &ldquo;D&egrave;s le d&eacute;part, j&rsquo;ai voulu m&rsquo;assurer que j&rsquo;aurais des sc&egrave;nes vraiment &eacute;crites et sans niaiserie, et j&rsquo;en ai fait baver &agrave; Bill.&rdquo;&nbsp;

Elles sont loin, les ann&eacute;es domin&eacute;es par le machisme! D&rsquo;ailleurs Angelina Jolie, la vraie super woman de Hollywood, a d&eacute;j&agrave; prouv&eacute; qu&rsquo;une star et sex-symbol mondial pouvait &eacute;galer sinon surpasser l&rsquo;ambition masculine. Superbe de libert&eacute; dans 20th Century Women, Annette Bening se r&eacute;jouit de cette nouvelle donne, mais d&eacute;nonce la pression sur les actrices: &ldquo;Hollywood a une nouvelle appr&eacute;ciation des femmes. Mais parall&egrave;lement on demande aux jeunes femmes d&rsquo;&ecirc;tre parfaites, &eacute;duqu&eacute;es, d&rsquo;avoir du travail et des enfants, et d&rsquo;&ecirc;tre attirantes. &Agrave; Hollywood, la pression de l&rsquo;apparence est plus forte que jamais.&rdquo; &ldquo;Un des pi&egrave;ges est de vouloir plaire &agrave; tout prix, souligne Nicole Kidman. Tourner pour Sofia Coppola m&rsquo;a confort&eacute;e dans l&rsquo;id&eacute;e que j&rsquo;aime &agrave; travailler avec des femmes singuli&egrave;res. Le m&eacute;lange de force et de d&eacute;termination, de d&eacute;licatesse et de style de Sofia est un puissant &eacute;lixir pour r&eacute;volutionner les mentalit&eacute;s.&rdquo; Une r&eacute;volution faite de d&eacute;licatesse et de style, de force et de d&eacute;termination, on aime &ccedil;a.&nbsp;

Hollywood : Cité des femmes?

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