Femmes

L'unisexe est-il le futur de la mode ?

Millennial néo-zélandaise aux allures de Sweet Pea Fairy, elle a raflé tous les suffrages avec Katana, sa première collection de prêt-à-porter unisexe. Rencontre avec la nouvelle prodige du “gender neutral”, fraîchement nommée New Zealand Fashion Week Young Designer.
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Propose recueillis par Mathilde Berthier
Photo par Rebecca Thomas

La vie en Nouvelle-Zélande, c’est comment ?

Je suis née à South Island, un endroit superbe, jalonné de montagnes et de lacs : c’est là que je passe mon temps libre. La ville d’Auckland, où je vis, n’a pas beaucoup de charme en comparaison… Le temps y est maussade et humide, mais on y trouve quelques friperies sympa pour chiller. Je travaille moi-même dans un concept-store génial, Zambesi, où l’on vend des marques comme Maison Margiela, Bernhard Willhelm, Serge Thoraval, Vetements et Rick Owens. Quoi qu’il en soit, même si j’adore la sérénité qui règne en Nouvelle-Zélande, j’ai envie de partir et découvrir le monde.

 

 

De quoi rêviez-vous, enfant ?

J’aurais voulu être la fée Sweat Pea… ou devenir célèbre ! Même si tous mes vêtements étaient des vêtements de récup, même si mes parents peinaient financièrement, je me créais un style et je traquais le glam en customisant mes tenues et en me recouvrant les cheveux de barrettes kitsch.

 

 

Et la mode, ça vous a pris quand ?

J’étais fascinée chaque fois que ma grand-mère donnait vie à ses patrons. Elle m’a appris les bases de la couture. Dès qu’une idée me trottait en tête, je lui demandais si elle pouvait la réaliser. Je me suis rendu compte que la meilleure façon d’avoir de beaux vêtements, c’était de les faire soi-même.

 

 

Vos parents aiment-ils la mode ?

Ma famille me soutient dans tout ce que j’entreprends, mais elle avoue ne pas toujours comprendre : pourquoi le béret de ma dernière collection a un diamètre de 100 cm, ou pourquoi certains dépensent une fortune pour une paire de chaussures avec laquelle il est impossible de marcher ! Pour mes parents, les vêtements ont une fonction pratique, ils servent à couvrir le corps – un créateur ne doit jamais l’oublier, d’ailleurs.

 

 

Vous avez organisé votre premier défilé en septembre dernier. Quel souvenir en gardez-vous ?

Avant le show, je me sentais bizarre. Un sentiment d’excitation mêlé de nervosité… J’ai donné le meilleur de moi-même pour écrire ce premier chapitre ; cette collection, c’était moi. Avec ça en tête, j’ai réussi à oublier le regard des autres.

 

 

Comme espace de défilé, vous avez choisi une aire de chargement souterraine…

Il fallait que ça ne me coûte rien et que l’endroit soit central. Je ne voulais pas que mes invités partent en expédition. Le lieu devait aussi être en parfaite adéquation avec la collection. Avant de s’installer, les gens attendaient dans le noir complet… L’atmosphère à la fois ténébreuse et lunaire créait un sentiment de peur et d’ambiguïté. Personne ne savait à quoi s’attendre, puisque personne ne connaissait mes vêtements. Je voulais que les gens aient des doutes, pour que je puisse faire mes preuves.

 

 

Vous castez vos mannequins dans la rue. Pensezvous que toute la mode devrait faire de même ?

Les gens qui n’ont rien à voir avec la mode sont souvent les plus originaux. Je me fiche qu’ils marchent suffisamment vite, ou qu’ils aient le bon port de tête. Je viens moi-même d’une agence et je sais combien on y impose une démarche uniforme. Je tiens à cet éventail de personnalités, d’identités. La manière dont le vêtement est porté compte autant que le vêtement lui-même.

 

 

Avez-vous toujours voulu créer une mode unisexe ?

Oui. Mon petit ami a un style très androgyne, c’est lui qui m’a ouvert les yeux. Les gens réalisent aujourd’hui qu’ils peuvent porter ce qu’ils veulent sans être dévisagés, je trouve ça génial. J’ai toujours voulu créer des pièces unisexes car je ne veux pas poser de limites : si quelqu’un aime un vêtement, il doit pouvoir le porter quoi qu’il arrive. Certaines de mes créations semblent plus féminines, certaines ont même des froufrous, mais qu’importe : il est temps de briser les frontières.

Que pensez-vous de la génération des Gosha Rubchinskiy, Demna Gvasalia, Alexandre Mattiussi… qui ont tous un propos sur le genre ?

Je pense qu’ils sont dans le vrai. Gosha et Demna ont des esthétiques très différentes, mais ils partagent tous deux l’idée que le vêtement ne doit pas être réduit à un genre. J’admire aussi la réflexion de Jonathan Anderson sur la fluidité des genres.

“La musique et l’architecture m’in uencent beaucoup. Elles guident les lignes et les formes de mes pièces.” Catherine Boddy

Est-ce que vous préparez un second défilé pour l’hiver 2018 ?

Oui. Cette année, j’aurai l’opportunité d’y travailler chaque jour à l’université. L’année dernière, je préparais mes silhouettes à la maison, après l’école, c’était la course contre la montre. J’ai envie d’étendre ma collection à plus de quinze modèles.

 

 

Qui sont vos mentors ?

Ma grand-mère et mon arrière-grand-mère. Et puis Margiela. Aussi bien le concept Margiela que l’homme Margiela. Le secret de son identité ajoute une dose d’intelligence à la marque. Les Japonais Rei Kawakubo, Issey Miyake, Yohji Yamamoto et Junya Watanabe sont définitivement des modèles. Je vénère leur aptitude à créer des formes si fortes. Jacquemus aussi : son sens de la proportion me fait envie.

 

 

Est-ce que l’art vous inspire ?

La musique et l’architecture m’influencent beaucoup. Elles guident les lignes et les formes de mes pièces. J’aime aussi créer mes propres imprimés à l’ordinateur, parfois en 3D. Dans ma dernière collection, j’ai découpé au laser et gravé mon logo sur des sacs en cuir et des ceintures-corsets. Je crois que la mode ne devrait pas sous-estimer les nouvelles technologies au profit des traditions.

 

Où puisez-vous vos inspirations ?

Partout ! Tout peut être une inspiration. Souvent, on passe à côté des choses. J’aime les beautés tragiques… et tout ce qui se fiche de la mode.

 

 

Qu’est-ce que l’on trouve dans votre garde-robe ?

Beaucoup de choses ! J’ai tendance à acheter de manière compulsive. J’adore porter des vêtements que j’ai cousus moi-même, ou que j’ai trouvés dans des friperies, et puis toutes sortes de pièces nineties vintage que j’ai achetées sur Internet. Je préfère quand c’est mal ajusté.

 

Fashion victim, donc ?

Plus excentrique que fashion victim (rires) !

 

 

Si vous deviez vous réincarner en vêtement, que choisiriez-vous ?

Mes bottines Tabi de Margiela, ou le manteau moutarde de ma dernière collection – sans rien en dessous, idéalement.

Si vous pouviez utiliser une machine à remonter le temps, vous le feriez ?

Je suis bien dans le présent. Mais si je devais faire marche arrière, je voyagerais dans les années 90, pour squatter une rave party en chaussures à plates-formes.

 

www.instagram.com/catherineboddy

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Première collection unisexe de Catherine Bobby.
Première collection unisexe de Catherine Bobby.
Première collection unisexe de Catherine Bobby.
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