Classées depuis 2009 au patrimoine mondial de l’Unesco, les Dolomites, au cœur de la région du Sud Tyrol, sont devenues le paradis des grimpeurs et amateurs de haute montagne du monde entier. Entre alpages et cimes vertigineuses, ascension vers le septième ciel garantie. 

Chaque mois de septembre, pendant pr&egrave;s de quarante ans, l&rsquo;&eacute;crivain Dino Buzzati quittait son bureau sombre et enfum&eacute; du Corriere della Sera pour s&rsquo;&eacute;vader vers les hauteurs immacul&eacute;es des Dolomites o&ugrave; il s&rsquo;adonnait &agrave; sa passion de l&rsquo;alpinisme, et chaque mois de septembre, c&rsquo;&eacute;tait le m&ecirc;me &eacute;merveillement en d&eacute;couvrant, sur l&rsquo;horizon bleu roi, les premi&egrave;res dentelures rocheuses : &ldquo;Alors en l&rsquo;espace de quelques kilom&egrave;tres, les Dolomites explosent vraiment de toutes parts, blanches au-dessus des croupes vertes et, si le soleil brille, elles vous apparaissent comme l&rsquo;image d&rsquo;un bonheur grave et sans m&eacute;lange.&rdquo;

Un bonheur grave et sans m&eacute;lange&nbsp;: voil&agrave; ce que je contemple &agrave; mon tour, accot&eacute; contre un merlon des remparts du ch&acirc;teau de Sigmundskron, face au vaste cirque des montagnes, au pied desquelles s&rsquo;&eacute;tend la charmante ville de Bolzano. Un bonheur, qui depuis le xixe si&egrave;cle et les premiers romantiques germaniques, n&rsquo;a cess&eacute; d&rsquo;attirer ici pi&eacute;tons des cimes et flibustiers des cr&ecirc;tes fuyant la pesanteur de leur vie d&rsquo;en bas. Pourquoi une telle fascination&nbsp;? Qu&rsquo;est-ce qui pousse chaque ann&eacute;e, comme Dino Buzzati, tant d&rsquo;alpinistes et de randonneurs &agrave; braver les vires et les corniches de ces massifs ? Voil&agrave; ce que je m&rsquo;&eacute;tais promis de d&eacute;couvrir en venant jusqu&rsquo;ici.&nbsp;

D&eacute;part d&egrave;s le lendemain pour la vall&eacute;e de Tires &agrave; travers une route de montagne serpentant le long d&rsquo;un ruisseau. Paysage d&rsquo;alpages verdoyants et de petits chalets en bois aux balcons festonn&eacute;s de g&eacute;raniums&nbsp;: la r&eacute;gion du Sud Tyrol (&eacute;galement appel&eacute; Trentin-Haut-Adige), rest&eacute;e partie de l&rsquo;empire austro-hongrois jusqu&rsquo;en 1918, tient bien plus de l&rsquo;Autriche que de l&rsquo;Italie. La langue, la gastronomie roborative, les villages manucur&eacute;s &agrave; la Heidi et cette tradition &eacute;trange, dans les saunas, de croiser des hommes et des femmes si patelins et d&eacute;tendus qu&rsquo;ils s&rsquo;y prom&egrave;nent enti&egrave;rement nus&hellip; Mais le principal bien s&ucirc;r, ce sont ces &ldquo;montages p&acirc;les&rdquo; comme on les surnommait avant qu&rsquo;elles ne prennent le nom du g&eacute;ologue fran&ccedil;ais, D&eacute;odat Gratet de Dolomieu, qui le premier avait analys&eacute; cette roche unique, &agrave; la fois blanche et phosphorescente. &nbsp;

Pour partir &agrave; leur conqu&ecirc;te, la raison commande de faire appel &agrave; un guide local. Je retrouve le mien devant l&rsquo;h&ocirc;tel Cyprianerhof, sur le sublime plateau de Tires. Direction le refuge Bergamo, &agrave; quatre heures de marche de l&agrave;. Lente ascension le long d&rsquo;un sentier pierreux, jalonn&eacute; de petits oratoires enguirland&eacute;s de rameaux d&rsquo;oliviers, o&ugrave; des pierres ont &eacute;t&eacute; d&eacute;pos&eacute;es au sol en guise d&rsquo;ex-voto. Quelles pri&egrave;res ici ont &eacute;t&eacute; entendues&nbsp;? Tant de dangers guettent les explorateurs de ces sommets&nbsp;: la foudre, les crevasses, les mauvaises chutes&hellip; Face &agrave; nous, au-dessus des girandoles de pins, les crode, ainsi qu&rsquo;on appelle les fameuses parois ruiniformes des Dolomites. C&rsquo;est ici m&ecirc;me que Tita Piaz, alpiniste de l&eacute;gende, s&rsquo;&eacute;tait retrouv&eacute; bloqu&eacute; un jour dans une fissure en surplomb et avait aper&ccedil;u sous lui, au milieu des &eacute;boulis, un homme envelopp&eacute; dans un grand manteau qui le suivait et hochait la t&ecirc;te en le regardant. Paz avait compris que c&rsquo;&eacute;tait la mort qui venait le chercher et s&rsquo;&eacute;tait d&eacute;cid&eacute; aussit&ocirc;t &agrave; redescendre&hellip;&nbsp;

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Guerriers du Moyen &Acirc;ge qui tiennent conseil sur les cr&ecirc;tes

Ce jour-l&agrave;, aucun homme en manteau &agrave; mes trousses fort heureusement&hellip; J&rsquo;atteins le refuge, fourbu mais en un seul morceau. Nous nous revigorons &agrave; grands coups de schnaps offerts par Hans, le propri&eacute;taire. Il habite ici la moiti&eacute; de l&rsquo;ann&eacute;e et le fabrique lui-m&ecirc;me &agrave; base de pin mugo. J&rsquo;imagine que le breuvage doit l&rsquo;aider &agrave; endurer les longues nuits solitaires quand aucun randonneur ne se risque &agrave; passer la nuit dans le d&eacute;sert de ces hauteurs. Rien ici ne semble avoir chang&eacute; depuis le fixe si&egrave;cle, date de sa construction&nbsp;: les rondins de bois, les peintures na&iuml;ves de montagnards bourrus ou de tyroliennes &agrave; nattes, les canedoli au speck dont on se b&acirc;fre, le vieux po&ecirc;le en fonte qui toussote dans un coin. Et c&rsquo;est peut-&ecirc;tre toute la beaut&eacute; de ces montagnes&nbsp;: le fait qu&rsquo;elles demeurent inviol&eacute;es, comme si le temps lui-m&ecirc;me n&rsquo;avait pas prise sur elles.

Le soir, face au spectacle du Catenaccio rosissant sous les feux du couchant, je comprends mieux Le Corbusier lorsqu&rsquo;il disait que les Dolomites sont la plus belle architecture au monde. Mais comment la d&eacute;finir&nbsp;? &ldquo;Minuscules cavernes &ndash; antres de gnomes peut-&ecirc;tre &ndash; creus&eacute;es dans les &agrave;-pics&nbsp;; lugubres traces d&rsquo;anciens &eacute;boulements&nbsp;; cicatrices d&rsquo;une blancheur presque obsc&egrave;ne laiss&eacute;es par quelque &eacute;boulement nocturne&nbsp;; chaires de pr&ecirc;cheurs suspendues au-dessus des ab&icirc;mes&nbsp;; fissures qui, telles d&rsquo;&eacute;nigmatiques inscriptions, coupent en diagonale les parois&nbsp;; blocs de rochers cyclop&eacute;ens en &eacute;quilibre et qui, pench&eacute;s au-dessus du pr&eacute;cipice, y projettent de longues ombres&nbsp;; noires orbites qui transforment les pinacles en sinistres cr&acirc;nes de morts&nbsp;; t&ecirc;tes de chiens, moines encapuchonn&eacute;s, vierges farouches, guerriers du Moyen &Acirc;ge, pr&ecirc;tres, statues de cire qui tiennent conseil sur les cr&ecirc;tes, fant&ocirc;mes de calcaire rong&eacute;s par le vent, vitreux, qui se penchent en dehors, et regardent fixement. S&rsquo;agit-il de pierres ou de nuages&nbsp;? Sont-elles vraies ou bien r&ecirc;v&eacute;es&nbsp;?&rdquo;&nbsp; M&ecirc;me tout le g&eacute;nie litt&eacute;raire de Buzzati n&rsquo;en viendra jamais &agrave; bout.&nbsp;

Il y a ses cimes bien s&ucirc;r mais il y a ses hommes aussi, qui depuis deux si&egrave;cles n&rsquo;ont cess&eacute; de s&rsquo;y mesurer et d&rsquo;en &eacute;crire la l&eacute;gende. Paul Preuss, Tita Piaz, Walter Bonatti, Attilio Tissi, Reinhold Messner&hellip; Autant de figures mythiques que l&rsquo;on retrouve dans le mus&eacute;e cr&eacute;&eacute; par le m&ecirc;me Messner, sur le Plan de Corones, dans le Val Badia. D&eacute;di&eacute; &agrave; l&rsquo;alpinisme traditionnel, le b&acirc;timent a &eacute;t&eacute; dessin&eacute; par Zaha Hadid. 380 pi&egrave;ces de b&eacute;ton assembl&eacute;es qui semblent se fondre dans la montagne avant de se jeter en surplomb dans le vide. Au hasard des pi&egrave;ces, on y d&eacute;couvre le piolet de Paul Preuss, mort en 1913, arrach&eacute; &agrave; la roche par une temp&ecirc;te, ou la chaussure du fr&egrave;re de Messner, disparu lors d&rsquo;une ascension dans l&rsquo;Himalaya. Ce qui rapproche ces athl&egrave;tes du vide&nbsp;: leur refus de toute aide artificielle tels les pitons, les cordes fixes ou la pratique du rappel. Chaque aiguille que l&rsquo;on aper&ccedil;oit autour du Plan de Corones porte leur empreinte, eux qui ont &eacute;t&eacute; les premiers &agrave; y ouvrir des voies que tout le monde jugeait jusque-l&agrave; irr&eacute;alisables.

Qu&rsquo;&eacute;prouvaient-ils tous seuls, l&agrave;-haut, au milieu de ces &agrave;-pics qui &eacute;taient encore consid&eacute;r&eacute;s, deux si&egrave;cles en arri&egrave;re, comme la demeure exclusive des Dieux&nbsp;? Pour le savoir, j&rsquo;enfile casque et baudrier direction Tre Cime, le plus c&eacute;l&egrave;bre sommet du Sud Tyrol. Ou plut&ocirc;t l&rsquo;une de ses variantes plus abordables,&nbsp;situ&eacute;e sur la m&ecirc;me cr&ecirc;te, le monte Paterno : je ne tiens pas &agrave; voir mon bonnet ou mes lunettes de soleil terminer aux c&ocirc;t&eacute;s du piolet de Paul Preuss ou de la chaussure de Messner dans le mus&eacute;e de Zaha Hadid.&nbsp;

Spectacle inou&iuml; que cette trinit&eacute; de roches, ce triptyque min&eacute;ral, cette &ldquo;&eacute;norme citadelle recluse dans la plus s&eacute;v&egrave;re des solitudes&rdquo; comme l&rsquo;a d&eacute;crite Buzzati. Le massif est c&eacute;l&egrave;bre pour ses via ferrata construites par les Italiens durant la Premi&egrave;re Guerre mondiale&nbsp;: des cordes en acier scell&eacute;es &agrave; la roche auxquelles on accroche son mousqueton pour s&rsquo;aider lors des ascensions. Creus&eacute;s dans la pierre, ici et l&agrave;, de sombres galeries et des aff&ucirc;ts pour les tireurs qui guettaient les Autrichiens en contrebas. La pente s&rsquo;&eacute;l&egrave;ve peu &agrave; peu jusqu&rsquo;&agrave; devenir verticale. Encord&eacute; &agrave; Herbert, mon guide, je l&rsquo;&eacute;coute me diriger pas &agrave; pas&nbsp;: trouver calmement la prochaine prise, pousser uniquement sur les jambes, les bras donnant l&rsquo;&eacute;quilibre&hellip; J&rsquo;ai l&rsquo;impression peu &agrave; peu de m&rsquo;&eacute;lever hors du r&eacute;el. Plus rien &agrave; cet instant n&rsquo;a de sens sinon le contact &acirc;pre et granuleux de la pierre calcaire contre la mince pulpe de mes doigts. Le monde en bas n&rsquo;est plus qu&rsquo;une poudre de lumi&egrave;re et de nuages. Mon corps ne p&egrave;se plus rien, et parvenu au fa&icirc;te, je titube, comme ivre de toutes cimes et ces vall&eacute;es qui m&rsquo;encerclent. Tant de ciel, tant d&rsquo;air, tant d&rsquo;immobilit&eacute;. Oui, c&rsquo;est peut-&ecirc;tre cela le secret&nbsp;: la majestueuse immobilit&eacute; de ces montagnes dont Buzatti &eacute;crivait qu&rsquo;elles &eacute;taient &ldquo;comme le parfait symbole du repos supr&ecirc;me vers lequel l&rsquo;homme se sent attir&eacute; par une vocation, une tentation invincible, ce repos qu&rsquo;on appelle la mort.&rdquo; C&rsquo;est-&agrave;-dire l&rsquo;&eacute;ternit&eacute;.&nbsp;

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CARNET PRATIQUE

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Y aller

Vol Paris - Venise (&agrave; partir de 200 euros sur Air France) puis voiture jusqu&rsquo;&agrave; Bolzano &agrave; deux heures et demie de route (location de voitures &agrave; l&rsquo;a&eacute;roport&nbsp;de Venise : Avis, Europcar, Maggiore&hellip;)

&nbsp;

Organiser son p&eacute;riple

S&uuml;dtirol, l&rsquo;agence de promotion du Haut-Adige, est une mine d&rsquo;informations pour pr&eacute;parer au mieux son voyage&nbsp;: recherche d&rsquo;h&eacute;bergements, gastronomie, sports d&rsquo;hiver et d&rsquo;&eacute;t&eacute;, m&eacute;t&eacute;o, grands &eacute;v&eacute;nements, panorama des hauts lieux touristiques&nbsp;: rien n&rsquo;y manque. <a href="http://www.suedtirol.info/fr">suedtirol.info/fr</a>

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Y loger

L&rsquo;h&ocirc;tel Cyprianerhof &agrave; Tires est un must absolu pour aller explorer le massif du Catenaccio ou les Alpe di Siussi, le plus haut alpage d&rsquo;Europe. Entour&eacute; de prairies avec une vue imprenable sur le cirque des montagnes, cet h&ocirc;tel 5 &eacute;toiles est un point de d&eacute;part id&eacute;al pour les randonn&eacute;es, dont les sentiers d&eacute;butent au pied m&ecirc;me de l&rsquo;&eacute;tablissement, mais aussi un refuge r&ecirc;v&eacute; apr&egrave;s une longue journ&eacute;e d&rsquo;excursion gr&acirc;ce &agrave; sa piscine, ses saunas en ext&eacute;rieur et int&eacute;rieur et les multiples soins propos&eacute;s au spa. On peut y trouver guides exp&eacute;riment&eacute;s, VTT et mat&eacute;riel d&rsquo;escalade en location. Restaurant gastronomique proposant toutes les saveurs du Haut Adige.&nbsp;

Via S. Cipriano, 69, 39050 Tires BZ, Italie

T&eacute;l. : +39 0471 642143.

<a href="http://www.cyprianerhof.com">cyprianerhof.com</a>

&nbsp;

L&rsquo;h&ocirc;tel Alpenblick &agrave; Sesto est un charmant 4 &eacute;toiles, situ&eacute; au c&oelig;ur de ce village champ&ecirc;tre, &agrave; quelques kilom&egrave;tres des Tre Cime. Id&eacute;al comme camp de base durant la saison des sports d&rsquo;hiver &eacute;galement. A partir de 134 euros la nuit.&nbsp;

Via S. Giuseppe, 19, 39030 Moso BZ, Italie

T&eacute;l. : +39 0474 710379.

<a href="http://www.alpenblick.it">alpenblick.it</a>

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Se restaurer

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AlpiNN&nbsp;: restaurant situ&eacute; &agrave; l&rsquo;int&eacute;rieur du mus&eacute;e Lumen, sur le Plan de Corones. Un bloc brutaliste suspendu au-dessus de la vall&eacute;e avec d&rsquo;immenses baies vitr&eacute;es. Aux fourneaux, le chef Norbert Niederkofler, qui poss&egrave;de d&eacute;j&agrave; un restaurant 3 &eacute;toiles Michelin &agrave; San Cassiano, y d&eacute;cline son concept &ldquo;taste the mountains&rdquo;. Une cuisine raffin&eacute;e, rehauss&eacute;e de nombreuses plantes aromatiques d&eacute;nich&eacute;es dans les montagnes alentour comme peut le faire Marc Veyrat en France.&nbsp;

<a href="http://www.alpinn.it">alpinn.it</a>

&nbsp;

Tilia&nbsp;: restaurant &agrave; Dobbiaco, pr&egrave;s des Tre Cime, o&ugrave; officie le chef &eacute;toil&eacute; Chris Oberhammer. Avec seulement cinq tables au milieu d&#39;une chambre lumineuse, entour&eacute;e de murs en verre qui refl&egrave;tent le parc du b&acirc;timent historique du GrandH&ocirc;tel Dobbiaco, l&rsquo;endroit est unique en son genre. Une carte courte, toujours de saison, mais incroyablement inventive. A ne pas rater.&nbsp;

tilia.bz/fr/

Entre alpages et cimes vertigineuses, bienvenue dans les Dolomites

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