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Notre-Dame des larmes

Des siècles et quelques heures. Hier soir, les images de la cathédrale Notre-Dame de Paris ravagée par les flammes ont ému le monde entier. Analyse d’une catastrophe plus symbolique qu’il n’y parait…
art stained glass

Petit à petit durant des heures, le temps s’est suspendu pendant que les flammes rongeaient les toits de Notre-Dame de Paris. Le monde entier, via les télévisions et des réseaux sociaux encore plus rapides, assiste le cœur serré à cette lente destruction ; des millions de personnes impuissantes, que ce soit sur les berges de la Seine ou dans un salon à Los Angeles ou à Pekin voient le feu dévorer peu à peu un chef d’œuvre absolu, témoin de l’histoire d’une nation, fruit du labeur d’artistes, d’ingénieurs, d’architectes et de visionnaires, bâti sur plusieurs siècles. Le temps se distord : insoutenablement lent presque ralenti en regardant cette inexorable catastrophe qui emplit le centre de l’Île de la Cité de fumées, de braises et de plomb fondu, et vertigineusement stroboscopique au regard de l’Histoire. Les premières images qui reviennent en mémoire, évidemment le 11 septembre, quand les deux tours au sud de Manhattan fument en direct, éventrées par deux avions, avant de s’effondrer au bout d’une heure. Hier au crépuscule, les deux tours massives de la Cathédrale sont toujours là, et avec la nuit qui tombe, on se demande pour combien de temps avant de regarder avec effroi tomber la flèche qui surplombe les toits dans un nuage de fumée jaune.

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Incendie de Notre-Dame de Paris.
Les pompiers à l'oeuvre.

Et même si cette fois, par chance, personne n'a perdu la vie dans cette tragédie, on ressent pourtant cette peur de la destruction intégrale qui saisit alors les tripes, non seulement des Parisiens et des Français mais aussi des gens du monde entier, de toutes confessions, pour lesquels cette Cathédrale est, plus qu’un symbole de la chrétienté, un symbole du génie humain, un miracle d’art et d’histoire. Notre-Dame a résisté à tout, à la Révolution française, à la Commune, à deux guerres mondiales, à des attentats déjoués. Elle est au cœur de Paris, dans le cœur de tous, sur l’île de la Cité, centre historique de Lutèce puis de Paris, un lieu de culte, de foi, d’espérance sans doute depuis deux millénaires : des historiens pensent que ce site était déjà celui d’un temple gallo-romain voué au culte de Jupiter, puis il a été celui d’une basilique à partir du IVème siècle, devenue ensuite la cathédrale romane Saint-Etienne, détruite au XIIème siècle et dont les pierres ont aussi servi à construire Notre-Dame.

Ce monument, un des les plus visités d’Europe a été le témoin de notre histoire, du Moyen âge au couronnement de Napoléon jusqu’à l’enterrement de François Mitterrand. Notre-Dame a inspiré un chef d’œuvre de la littérature française à Victor Hugo en 1831, comme elle a inspirée l’architecte Viollet-le-Duc à la fin du XIXème, un homme qui l’a aimé, rêvée et lui a rendu hommage encore plus qu’il ne l’a restaurée.

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Viollet-le-Duc à côté des chimères qu'il a restaurées.
La flèche de la Cathédrale qui a disparu hier.

Cette cathédrale a aussi été absorbée par la culture pop au XXème siècle avec l’adaptation du livre de Victor Hugo par Walt Disney en 1996, puis par Plamondon et Cocciante pour leur comédie musicale en 1998 jusqu’au jeu vidéo Assassin Creed Unity en 2014 qui se déroule pendant la Révolution Française et emmène virtuellement les joueurs dans la cathédrale et sur ses toits. Des toits de plomb et de pierre et une charpente légendaire faite de 1300 chênes au début du XIIIème siècle qui a brûlé et s’est écroulée dans la nuit du 15 au 16 avril. A l’époque où le réchauffement climatique menace l’avenir de notre civilisation et l’équilibre écologique de la planète, difficile de ne pas voir dans l’incendie et la destruction de cette « forêt » de Notre-Dame préservée depuis des siècles, qu’on considérait comme intouchable,  un symbole des cataclysmes à venir.

Scène du jeu vidéo Assassin Creed Unity (2014).

Reste l’espoir. 400 pompiers de Paris ont défendu valeureusement, inlassablement et intelligemment ce patrimoine inestimable. Les tours ont tenu, la structure est presque indemne. On ne peut qu’être ébloui de voir la résistance des arches de la nef, maintenant à ciel ouvert, à cette apocalypse d’eau, de plomb et de feu. Et le plus magique peut-être ce matin c’est de voir les gigantesques rosaces, des dentelles gigantesques de verre colorées, dont notamment la « Rose du Sud », préservées à quelques mètres d’un toit noirci et éventré. Un miracle pour les croyants peut-être mais aussi sûrement une preuve de l’ingéniosité et de la virtuosité des bâtisseurs de ces chefs d’œuvre. C’est Barack Obama qui dispense une fois de plus la lumière avec son post : « Notre-Dame est l’un des grands trésors de notre monde et nous pensons au peuple français en cette période de douleur. C’est dans notre nature de pleurer quand nous voyons l’histoire perdue - mais c’est aussi dans notre nature de reconstruire pour demain, aussi fort que possible. » L’espoir, c’est aussi ça : imaginer les nouveaux Compagnons qui seront formés à des métiers d’art, à des traditions ancestrales, pour rénover cette œuvre d’art unique, penser à ces architectes et autres artistes qui laisseront à leur tour leur empreinte pour rendre sa splendeur à celle belle Dame blessée.

 

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