La nouvelle idole des ados américaines a 85 ans
Comment une vieille dame, célèbre pour sa ressemblance avec un notable protestant vêtu de noir et blanc avec collerette dentelée, tout droit échappé d’un tableau de Rembrandt, est-elle devenue la star de la pop culture américaine ? Anticonformiste sans le savoir et sans le vouloir, survivante de deux cancers, Ruth Bader Ginsburg est la copine super cool dont rêvent les jeunes Américaines, plus que jamais mobilisées pour la conquête de leurs droits. RBG ne respecte pas les traditions. Elle les a en horreur depuis que l’accès à la bibliothèque de son université lui fut refusé au prétexte qu’elle était… une fille. C’était dans les années 50.
Aujourd’hui seule femme juge à la Cour suprême, elle est adorée par la jeunesse, qui se précipite à chacune de ses conférences pour voler un selfie avec elle. On se tatoue son visage sur l’épaule. On imprime T-shirts et autres goodies à son effigie, et Kate McKinnon en RBG dans le Saturday Night Live fait un malheur. Mais la juge est autant attaquée que sacrée. Honnie par les conservateurs, Donald Trump en tête, cette juge minuscule par la taille et géante par son travail législatif est régulièrement traitée de zombie et, pire, d’anti-américaine. Son crime : défendre depuis plus de soixante ans les droits des femmes. Son credo est la formule de la féministe Sarah Grimké en 1837 : “Tout ce que je demande à mes frères, c’est qu’ils veuillent bien retirer leurs pieds de notre nuque.” Elle est épaulée dans son combat par Marty, son mari depuis plus de cinquante ans, rencontré à l’université, un homme aussi marrant qu’elle était sérieuse. Il ne fera preuve d’autorité envers elle que pour lui interdire l’accès de la cuisine ! Pour le bien de tous, car RBG cuisine très mal et a bien d’autres choses à faire.
Le secret de Ruth, c’est son magnétisme déterminé. Les réalisatrices Betsy West et Julie Cohen, dans leur documentaire, se servent de sa voix tranquille, jamais forcée, pour souligner combien la juge est moderne et visionnaire. Car si elle se bat pour l’indépendance des femmes, c’est aussi pour celle des hommes, pour obtenir une égalité qui ferait le monde plus libre. Et pour cela Ruth n’a aucun snobisme. Sa grande amitié avec le juge ultra conservateur Antonin Scalia en est la preuve. Ils se font photographier lors d’une promenade à dos d’éléphant en Inde, ou à l’opéra. Il lui raconte à l’oreille des blagues terribles. Puis ils s’affrontent à la Cour suprême. Il voudrait que rien ne bouge, alors que Ruth cherche à changer la société américaine en gagnant des arbitrages qui feront jurisprudence. Une aventure dingue tant la juge progressiste est actuellement minoritaire, voire dissidente. Pour tenir le cap, entre séries de pompes et séances de gainage, elle dit : “Je dois rester en vie.” Elle est déjà immortelle.
RBG, documentaire de Julie Cohen et Betsy West, en salles le 10 octobre.
