Couronn&eacute; par deux oscars, le bouleversant The Father est enfin en salles. Et absolument &agrave; voir.

&Agrave; quel moment avez-vous imagin&eacute; que la pi&egrave;ce Le&nbsp;P&egrave;re pourrait devenir un film&thinsp;?&nbsp;
Florian Zeller : Tr&egrave;s tardivement. En &eacute;crivant la pi&egrave;ce, je ne savais pas dans quelle mesure le public serait disponible pour ce voyage &eacute;motionnel. J&rsquo;ai &eacute;t&eacute; tr&egrave;s surpris et &eacute;mu de voir les r&eacute;actions, souvent les m&ecirc;mes, quel que soit le pays (elle a &eacute;t&eacute; mont&eacute;e dans pr&egrave;s de 45&nbsp;pays, ndlr), malgr&eacute; les diff&eacute;rences culturelles. Souvent, lorsqu&rsquo;on rencontrait les spectateurs, ils nous attendaient moins pour nous f&eacute;liciter que pour partager leur propre histoire. J&rsquo;ai r&eacute;alis&eacute; que cette pi&egrave;ce avait une dimension cathartique. Je crois que c&rsquo;est le but, du th&eacute;&acirc;tre, du cin&eacute;ma, de faire en sorte que chacun se sente appartenir &agrave; quelque chose de plus large que soi-m&ecirc;me, de se souvenir que l&rsquo;on partage les m&ecirc;mes peurs et dilemmes, que l&rsquo;on est connect&eacute; les uns aux autres par cette fraternit&eacute; du destin, que cela offre une r&eacute;elle consolation. Je crois que c&rsquo;est &agrave; ce moment que j&rsquo;ai pris la d&eacute;cision d&rsquo;en faire un film. La singularit&eacute; de cette histoire &eacute;tait de mettre le spectateur dans une position unique, de le faire traverser un labyrinthe, qu&rsquo;il s&rsquo;interroge sur ce qui est r&eacute;el et ne l&rsquo;est pas, qu&rsquo;il se mette dans la t&ecirc;te de ce personnage. Il me semblait que le cin&eacute;ma, par son langage propre, pouvait faire de cette aspiration une exp&eacute;rience encore plus compl&egrave;te, immersive. Je ne voulais pas que The Father soit juste une histoire, mais qu&rsquo;il incarne l&rsquo;exp&eacute;rience de montrer ce que &ccedil;a veut dire de tout perdre, de ne plus avoir de rep&egrave;res, y compris en tant que spectateur. Jouer avec cette dimension, le cin&eacute;ma pouvait le faire de mani&egrave;re plus puissante que le th&eacute;&acirc;tre. Tout ce que permet de faire le cin&eacute;ma, par le choix des cadres, le jeu des d&eacute;cors, permet d&rsquo;embarquer le spectateur dans ce labyrinthe.&nbsp;
Le film semble se d&eacute;rouler depuis le point de vue du personnage, et joue beaucoup sur la d&eacute;route, y compris du spectateur.&nbsp;
FZ : On est dans un monde rationnel mais qui perd toute logique. Je voulais que le spectateur soit actif, comme si le film &eacute;tait un puzzle, et qu&rsquo;il faille jouer avec toutes ses pi&egrave;ces pour lui trouver une combinaison qui fasse sens. Je pense que c&rsquo;est ce qui se passe dans la t&ecirc;te de quelqu&rsquo;un dont la r&eacute;alit&eacute; commence &agrave; devenir incertaine, quand les choses deviennent incoh&eacute;rentes, que les situations se contredisent. Le cerveau doit faire un effort permanent pour comprendre, et cette bagarre int&eacute;rieure peut cr&eacute;er des acc&egrave;s de d&eacute;tresse, de rage, parfois de cruaut&eacute;.&nbsp;
L&rsquo;appartement est aussi un personnage &agrave; part enti&egrave;re. &Agrave; quel moment en avez-vous eu conscience&thinsp;?&nbsp;
FZ : Cette dimension est consubstantielle du projet. Lorsque j&rsquo;&eacute;crivais le sc&eacute;nario, je dessinais des plans de l&rsquo;appartement et ils ont d&eacute;cid&eacute; de l&rsquo;identit&eacute; du film. On a tourn&eacute; en studio pour les m&ecirc;mes raisons, cela me permettait d&rsquo;utiliser toutes les facilit&eacute;s logistiques pour construire un appartement-labyrinthe, distiller des m&eacute;tamorphoses, parfois discr&egrave;tes, parfois &eacute;videntes. Il fallait que l&rsquo;on sente que quelque chose a chang&eacute;, que l&rsquo;on sache o&ugrave; l&rsquo;on est, tout en doutant de ses certitudes.&nbsp;
Le film incite aussi &agrave; &ecirc;tre attentif, &agrave; tout, tout le temps.
FZ : Un des proc&eacute;d&eacute;s auquel j&rsquo;ai eu recours, c&rsquo;est la variation, du cadre ou des acteurs. Je voulais que l&rsquo;on ressente pleinement le sentiment d&rsquo;&ecirc;tre &eacute;tranger &agrave; son environnement, offrir une exp&eacute;rience int&eacute;rieure, dont la vocation est de susciter de l&rsquo;empathie, d&rsquo;embrasser l&rsquo;autre dans sa diff&eacute;rence. C&rsquo;est une des fonctions de l&rsquo;art, de nous aider &agrave; comprendre ce qui n&rsquo;est pas soi et de l&rsquo;aimer davantage, ou mieux.&nbsp;
Vous avez choisi de ne jamais nommer la maladie dont souffre le&nbsp;personnage&hellip;
FZ : Je ne voulais pas que le spectateur se dise d&rsquo;embl&eacute;e &ldquo;j&rsquo;ai compris, c&rsquo;est &ccedil;a le sujet&hellip;&rdquo;, mais que le film montre une trajectoire sans choisir un seul point de vue, mais faire cohabiter deux points de vue, celui du p&egrave;re et celui de la fille, cette femme aimante, qui fait de son mieux, et qui touche aux limites de son amour, parce qu&rsquo;il ne suffit pas, et je voulais explorer cette d&eacute;chirure int&eacute;rieure. J&rsquo;&eacute;tais heureux qu&rsquo;Olivia Colman joue ce r&ocirc;le, parce que c&rsquo;est un &ecirc;tre tellement aimant dans la vie, et je crois que chacun de ses r&ocirc;les le montre. Il y a une profondeur de champ extraordinaire dans son visage, elle fait cohabiter l&rsquo;amour et l&rsquo;impuissance, le d&eacute;couragement aussi.&nbsp;
Comment avez-vous travaill&eacute; avec Anthony Hopkins&thinsp;?
FZ : J&rsquo;avais plus que de l&rsquo;appr&eacute;hension de travailler avec lui, il est tr&egrave;s intimidant. Mais c&rsquo;est une telle opportunit&eacute; de faire un film que j&rsquo;avais beaucoup travaill&eacute; en amont. Il faut sortir de la g&ecirc;ne d&rsquo;oser diriger un com&eacute;dien. On a eu des jours de conflit, mais rien que de tr&egrave;s normal. Je voulais qu&rsquo;il explore des sentiments qui lui appartiennent, sans qu&rsquo;il soit prot&eacute;g&eacute; par un personnage de fiction, sans faire de recherches, qu&rsquo;il soit profond&eacute;ment lui-m&ecirc;me, qu&rsquo;il laisse ses propres &eacute;motions l&rsquo;envahir. Cet acteur m&rsquo;&eacute;tait tr&egrave;s familier depuis longtemps, c&rsquo;&eacute;tait l&rsquo;homme du contr&ocirc;le, de tout, du langage, des situations, et le voir perdre pied ainsi pouvait faire &eacute;cho aupr&egrave;s des spectateurs qui ont connu quelqu&rsquo;un intimement et qui le voit basculer compl&egrave;tement. Je tenais &agrave; ce qu&rsquo;on d&eacute;couvre un autre acteur, un acteur qui explore un territoire &eacute;motionnel in&eacute;dit, y compris pour lui-m&ecirc;me.&nbsp;
L&rsquo;omnipr&eacute;sence de la musique est aussi essentielle, notamment cette sc&egrave;ne o&ugrave; le personnage d&rsquo;Anthony Hopkins &eacute;coute un disque ray&eacute;.
FZ : Je voulais que le spectateur vive l&rsquo;exp&eacute;rience du disque ray&eacute;, cette sc&egrave;ne concr&eacute;tise la sensation de la r&eacute;alit&eacute; qui d&eacute;raille. C&rsquo;est aussi une sc&egrave;ne importante pour moi dans la mesure o&ugrave;, de mani&egrave;re inattendue, lors de la pr&eacute;paration du film, on a beaucoup parl&eacute; de musique avec Anthony, et on s&rsquo;est d&eacute;couvert une passion commune pour un aria de l&rsquo;op&eacute;ra de Bizet, Les P&ecirc;cheurs de perles. Il a toujours r&ecirc;v&eacute; de faire un film qui incluerait cette musique&hellip;Du coup, cet air revient &agrave; plusieurs reprises. La musique ne porte pas de visages, mais porte potentiellement tous les sens. C&rsquo;est le dernier lien avec le monde et la beaut&eacute; quand tout le reste vacille.&nbsp;
Quand une id&eacute;e d&rsquo;histoire vous vient, savez-vous tout de suite quelle forme elle prendra&thinsp;? Un roman, une pi&egrave;ce, un film&thinsp;?
FZ : C&rsquo;est plut&ocirc;t l&rsquo;inverse. J&rsquo;&eacute;cris, et je comprends plus tard de quoi il sera question. Quand j&rsquo;ai &eacute;crit Le P&egrave;re, je ne me suis pas dit que j&rsquo;allais &eacute;crire sur Alzheimer. Je tiens beaucoup &agrave; &ccedil;a, &agrave; me mettre dans la situation d&rsquo;un r&ecirc;veur qui se retourne sur son r&ecirc;ve pour le comprendre.&nbsp;
En quelle langue r&ecirc;vez-vous&thinsp;?
FZ : En fran&ccedil;ais.
Comment avez-vous v&eacute;cu cette longue p&eacute;riode d&rsquo;arr&ecirc;t&thinsp;?
&Ecirc;tre cr&eacute;atif, c&rsquo;est se projeter&hellip; Or, c&rsquo;&eacute;tait compliqu&eacute; de se projeter, d&rsquo;&eacute;crire, de r&ecirc;ver. L&rsquo;espace mental &eacute;tait pris par l&rsquo;inqui&eacute;tude, l&rsquo;incertitude. Mais on finit par s&rsquo;adapter, se r&eacute;inventer.&nbsp;
Avec le recul, quelles &eacute;motions gardez-vous d&rsquo;avoir re&ccedil;u un oscar&thinsp;?
Sur le moment c&rsquo;&eacute;tait de la surprise, de la joie pure, de la gratitude. Et cela reste. &nbsp;
The Father, de Florian Zeller. Avec Anthony Hopkins, Olivia Colman, Rufus Sewell. En salles.

Anthony Hopkins. Copyright F comme Film, Ciné-@, Trademarks

Olivia Colman. Copyright F comme Film, Ciné-@, Trademarks

La bande-annonce de The Father

THE FATHER Bande Annonce VOST (2020) Anthony Hopkins

COPYRIGHT MATIAS INDJIC ORANGE STUDIO

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