Crazy Rich Asians a pris Hollywood par surprise : jamais une romcom n’avait aussi bien marché depuis dix ans. Avec son casting entièrement asiatique, ce film sur les milliardaires de Singapour est devenu un phénomène en soi. 

Cendrillon x Jane Austen&nbsp;

Le pitch du film invoque autant Charles Perrault qu&rsquo;Orgueil et Pr&eacute;jug&eacute;s, le tout dans un monde&nbsp; imp&eacute;n&eacute;trable qui ne jure que par la haute couture, la joaillerie et les jets priv&eacute;s. Rachel Chu, une jeune professeur d&rsquo;&eacute;conomie &agrave; l&rsquo;Universit&eacute; de New York, forme avec Nick Young, lui-m&ecirc;me sp&eacute;cialis&eacute; en histoire, un couple aussi simple que parfait. Apr&egrave;s deux ans de romance, Nick l&rsquo;emm&egrave;ne dans sa famille &agrave; Singapour pour le mariage de son meilleur ami. Elle d&eacute;couvre effar&eacute;e que son boyfriend est le c&eacute;libataire le plus convoit&eacute; d&rsquo;Asie, riche comme Cr&eacute;sus et dernier rejeton d&rsquo;une longue dynastie. Il est en outre dot&eacute; d&rsquo;un fan-club de filles cruelles et snobs et d&rsquo;une m&egrave;re aussi &eacute;l&eacute;gante que glaciale, bien d&eacute;cid&eacute;e &agrave; la renvoyer &agrave; son milieu &ldquo;ABC&rdquo; (American-born Chinese). Bref on tombe un peu sur la trame du Prince et la Berg&egrave;re, avec Rachel en berg&egrave;re sympathique, f&eacute;ministe, cultiv&eacute;e et brillante qui n&rsquo;a aucune id&eacute;e de sa condition avant de se prendre de plein fouet un mur de milliardaires et de traditions. Ajoutez &agrave; cela des dialogues incisifs, des d&eacute;cors et une garde-robe de folie, et vous tenez la recette du plus gros succ&egrave;s de cet &eacute;t&eacute;&nbsp;: d&eacute;j&agrave; 130&nbsp;millions de dollars au box-office am&eacute;ricain d&eacute;but septembre. Une surprise&nbsp;? Pas tant que &ccedil;a car, avant d&rsquo;&ecirc;tre un blockbuster, Crazy Rich Asians &eacute;tait d&rsquo;abord un best-seller.&nbsp;

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Plume excentrique&nbsp;

L&rsquo;auteur, Kevin Kwan, un quadrag&eacute;naire qui cache sa flamboyance derri&egrave;re des lunettes &agrave; grosse monture, sait parfaitement de quoi il parle puisqu&rsquo;il est n&eacute; dans ce milieu particulier de la haute soci&eacute;t&eacute; de Singapour (son arri&egrave;re-grand-p&egrave;re aurait cofond&eacute; une des plus importantes banques d&rsquo;Asie) avant de d&eacute;m&eacute;nager avec ses parents &agrave; 11&nbsp;ans au Texas. En 2013, il publie le premier roman de ce qui va devenir une trilogie, et c&rsquo;est un succ&egrave;s imm&eacute;diat. Cet ex-&eacute;tudiant &agrave; la Parsons School de New York devenu consultant en cr&eacute;ation manie les marques de mode en virtuose et les int&egrave;gre sans effort &agrave; des saillies hilarantes dans sa s&eacute;rie satirique. Toute ressemblance avec des personnes ayant exist&eacute; n&rsquo;&eacute;tant pas tout &agrave; fait fortuite, des dizaines d&rsquo;h&eacute;riti&egrave;res &agrave; Singapour se revendiquent par exemple comme l&rsquo;inspiration d&rsquo;Astrid, la cousine plus que parfaite de Nick, surnomm&eacute;e la D&eacute;esse. Kevin Kwan, lui, jette un peu d&rsquo;huile &agrave; fantasme sur le feu en expliquant que la r&eacute;alit&eacute; est bien plus extravagante que la fiction, et que son &eacute;diteur a souhait&eacute; couper ce qui paraissait trop excessif. &Agrave; lire le livre, surtendu du luxe le plus extr&ecirc;me, on n&rsquo;ose imaginer ce qui n&rsquo;a pas pass&eacute; l&rsquo;&eacute;dition. D&egrave;s le d&eacute;part, Crazy Rich Asians attire l&rsquo;&oelig;il des producteurs, mais Kwan prot&egrave;ge son b&eacute;b&eacute;, refuse qu&rsquo;on donne le r&ocirc;le de Rachel &agrave; une actrice non asiatique et d&eacute;cline un pont d&rsquo;or de Netflix pour accepter la proposition plus modeste de la Warner, qui permettra au film d&rsquo;&ecirc;tre projet&eacute; en salles. Il garde ainsi plus de contr&ocirc;le sur la production et envoie un message fort &agrave; l&rsquo;industrie cin&eacute;matographique quant &agrave; la rentabilit&eacute; du projet.&nbsp;

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100&nbsp;% asiatique&nbsp;

Tr&egrave;s t&ocirc;t, le casting du film (acteurs, r&eacute;alisateur, etc.) a &eacute;t&eacute; un enjeu de taille pour l&rsquo;&eacute;quipe de production&nbsp;: il repr&eacute;sente aujourd&rsquo;hui une victoire symbolique de la communaut&eacute; asiatique aux &Eacute;tats-Unis sur les codes hollywoodiens, aussi importante que celle remport&eacute;e par Black Panther (1,3&nbsp;milliard de dollars de recettes &agrave; ce jour) et Moonlight (trois Oscars et un Golden Globe) pour la communaut&eacute; afro-am&eacute;ricaine. Plus qu&rsquo;un pari, le film met au jour ce mouvement de fond qui donne une place &agrave; chaque communaut&eacute;, et r&eacute;v&egrave;le aussi une &eacute;volution du regard, plus enclin &agrave; tol&eacute;rer la diversit&eacute; et l&rsquo;&eacute;galit&eacute;. Pas trop t&ocirc;t.&nbsp;

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Star instantan&eacute;e&nbsp;

&Eacute;videmment, le c&ocirc;t&eacute; romcom chez les ultra-riches ne peut qu&rsquo;aider &agrave; introduire cette diversit&eacute; aupr&egrave;s d&rsquo;un public tr&egrave;s large attir&eacute; par les paillettes. Mais, pour aller un peu &agrave; contre-courant, le r&eacute;alisateur a aussi choisi d&rsquo;inverser les clich&eacute;s et de montrer dans le film des filles de caract&egrave;re fort bien v&ecirc;tues face &agrave; de beaux gar&ccedil;ons plus d&eacute;nud&eacute;s, aux pectoraux apparents. La bombe du film arrive de nulle part&nbsp;: Henry Golding joue le John Kennedy&nbsp;Jr. de l&rsquo;histoire, amoureux de Rachel. Le recrutement pour le r&ocirc;le de ce Cary Grant asiatique &agrave; l&rsquo;accent british impeccable et au charme inn&eacute; a &eacute;t&eacute; presque aussi long que celui de Vivian Leigh pour le r&ocirc;le de Scarlett O&rsquo;Hara. C&rsquo;est finalement une comptable de la production qui a soumis son nom. Avant d&rsquo;accepter le r&ocirc;le, Golding, anglo-malais, pr&eacute;sentateur journaliste dans des &eacute;missions de voyage de la BBC et de Discovery Channel, n&rsquo;avait jamais envisag&eacute; de jouer au cin&eacute;ma. En quelques jours, il est devenu une star bankable et joue le r&ocirc;le principal de deux films qui sortiront l&rsquo;ann&eacute;e prochaine. Mais, malgr&eacute; tout, ce n&rsquo;est pas Henry Golding qui brille le plus dans le film.&nbsp;

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Dress code des 0,0001&nbsp;%

Un des buts du roman de Kwan &eacute;tait de diff&eacute;rencier le mode de consommation et de fonctionnement des nouveaux super-riches tr&egrave;s tr&egrave;s bling et celui plus raffin&eacute;, extr&ecirc;mement discret, des familles &eacute;duqu&eacute;es depuis des si&egrave;cles dans l&rsquo;opulence extr&ecirc;me. Lire ou voir Crazy Rich Asians a quelque chose de jouissivement obsc&egrave;ne, qualifi&eacute; avec justesse par la presse am&eacute;ricaine de lifestyle porn. Singapour &agrave; ce titre repr&eacute;sente un microcosme excessif int&eacute;ressant &agrave; observer, avec vingt-trois milliardaires et plus de deux cent mille millionnaires&nbsp;; des vid&eacute;os hallucinantes sur Youtube montrent les dressings d&eacute;ments de certaines folles de mode de Singapour. Dans le film, l&rsquo;amie de Rachel, Goh Peik Lin, incarne l&rsquo;h&eacute;donisme d&eacute;brid&eacute; de ces nouveaux riches avec pas mal d&rsquo;humour et de style, et les Young, notamment Astrid, repr&eacute;sentent leur antith&egrave;se exacte, eux qui ob&eacute;issent aux codes de la vieille aristocratie o&ugrave; personne ne parle jamais d&rsquo;argent. Par exemple, dans le roman, Astrid assiste &agrave; une f&ecirc;te parisienne habill&eacute;e d&rsquo;une robe en lin premi&egrave;re mani&egrave;re de Madame Gr&egrave;s et de boucles d&rsquo;oreilles JAR. Le raffinement ultime consiste &agrave; ne pas &ecirc;tre remarqu&eacute;, sauf par ceux qui savent, &agrave; acqu&eacute;rir des choses aussi belles que rares, &agrave; ma&icirc;triser le vocabulaire du luxe le plus sophistiqu&eacute;. &Agrave; l&rsquo;oppos&eacute;, avoir un Matisse dans son jet priv&eacute; et tout couvrir de dorures dans une comp&eacute;tition effr&eacute;n&eacute;e &agrave; qui sera le plus bling appara&icirc;t au mieux comme un faux pas dans cette haute soci&eacute;t&eacute; tr&egrave;s rigide. Le film retranscrit bien ces enjeux au sein des clubs platinum des 0,0001&nbsp;%, en inondant l&rsquo;&eacute;cran de d&eacute;cors fous, de mets sublimes, de robes et de bijoux d&rsquo;exception (Valentino, Dior, Alexander McQueen, Versace et Stella McCartney entre autres), avec m&ecirc;me en guest star la Rolex Daytona de Paul Newman, la montre la plus ch&egrave;re du monde (17,5&nbsp;millions de dollars). Quoi qu&rsquo;il en soit, romance ou pas, on en a plein les mirettes. Mission fantasme de base accomplie, et la raison reste sauve. Que demande le peuple&hellip;&nbsp;

Crazy Rich Asians, de Jon M. Chu, avec Constance Wu, Henry Golding, Michelle Yeoh, Ken Jeong&hellip; Sortie le 10 octobre.

CRA-01863.tif

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