Les joyaux de la Biennale

Désormais annuelle, la biennale des antiquaires - ou plutôt, puisque c’est son nouveau nom, la Biennale Paris - poursuit sa mue mais reste fidèle à ses fondamentaux: proposer aux visiteurs un circuit initiatique susceptible de créer l’émerveillement, être un rendez-vous incontournable des amateurs d’art.

Parmi les cent galeries installées pour l’occasion jusqu’au 17 septembre sous la verrière du Grand Palais, la haute joaillerie mais aussi – et c’est une nouveauté – la haute horlogerie – se sont fait une place d’autant plus méritée que la sélection de maisons participantes s’avère particulièrement plaisante.

Première halte obligatoire: la maison Nirav Modi qui nous avait déjà éblouis lors de sa présentation de haute joaillerie en juillet dernier à Paris. C’est la deuxième participation de ce joaillier indien à la Biennale Paris. Ce fils de diamantaire a de l’ambition et les moyens- tant en terme de talent que de savoir-faire - de ses ambitions. C’est un homme rigoureux, timide et passionné dont on sent la volonté chevillée au corps de ne proposer que le nec plus ultra à une clientèle exigeante et raffinée. Cette volonté se manifeste par des créations au design innovant et sur lesquelles brillent les pierres d’une qualité exceptionnelle. Ici les diamants paraissent léviter grâce à des sertis invisibles sur des plastrons étincelants. Des centaines de perles naturelles et d'émeraudes rondes à souhait composent une toile de fond exquise et flexible, comme un tissu, sur un bracelet constellé d’émeraudes colombiennes octogonales éclatantes. D’une manière générale, l’intention du Maestro est de minimiser l’utilisation du métal pour permettre aux pierres, une fois libérées de leur monture, de briller de tout leur éclat. Mais le choc, c’est une pièce maitresse, classique dans son esthétique, majestueuse dans son exécution, étourdissante par sa composition: un collier de rubis Mogok, tous parfaitement appairés et non traités. La réunion de tels rubis est en soi un exploit qui mérite le coup d’œil car cet exploit, vous ne le reverrez pas de sitôt. Pour rappel, Le Mogok, région montagneuse du Myanmar, est la source d’origine des plus beaux rubis du monde. Leur rouge est intense, la plupart se distingue par une pointe de bleu dite « sang de pigeon ». Les rubis réunis ici par Nirav Modi ont une transparence unique et une fluorescence naturelle qui leur donnent un lustre carmin. Le collier (et les boucles d’oreilles qui l’accompagnent) offrent un ensemble de rubis Mogok de plus de 71,11 carats et un ensemble de diamants de 128,56 carats ( de qualité superieur, de qualité D, E et F) sertis sur or blanc et jaune 18K. Le collier est orné en sa pointe par un diamant taille poire de 3,51 carats, d’un blanc exceptionnel et sans inclusion. Les collectionneurs apprécieront. Les amateurs de design apprécieront de leur coté la facon dont les motifs floraux sont accentués par une taille cousin qui fait écho à l’esthétique des parures royales anciennes.

Deuxième halte impérative, tant par la qualité des pierres sélectionnées que pour l’exigence appliquée au design des créations proposées: la Maison Boghossian. Une merveilleuse maison familiale d’origine arménienne dont la destinée ressemble à une épopée qui débute à Mardin, en Turquie pour se développer au gré de pérégrinations véritablement romanesques à Beyrouth tout d’abord, puis plus classiquement, à Genève et Anvers. Les maisons familiales ont souvent une âme indéfinissable que peinent à ressusciter les grandes marques internationales. Les collections conçues par la sixième génération de cette antique famille de négociants en pierre se caractérisent par l’attachement portée à leur histoire, tant d’un point de vue géographique – Mardin est l’une des seules villes au Monde où cohabitent plusieurs religions tels que l’Islam, le christianisme, le judaisme et le jezidisme – que spirituelle. Les bijoux portent dans leur conception un mélange troublant de l’essence propre à l’Orient et l’Occident. Ralph Boghossian qui presente personnellement les pièces parle avec une émotion véritable de la porcelaine de la dynastie Ming, de l’art ornemental Mogho ou de l’artisanat perse qui ont nourri la communauté arménienne de Mardin, elle même forteresse de l’Empire Byzantin. Ce brassage de culture et de savoir se répercutent dans les techniques déployées sur les bijoux aux gemmes colorées (une spécialité maison) comme par exemple la technique des « Inlay », des « Kissing Diamonds » qui consistent à incruster une pierre dans une autre. Les bijoux de la collection « Les Merveilles » ne laissent apparaître aucun millimètre de métal : l’ensemble est intégralement constellé de pierres précieuses, même les parties à priori invisible. « «Nous voulons inspirer la curiosité. Nous sommes ravis lorsque nos bijoux soulèvent des questions. » Pari amplement réussi, l’émotion est totale devant ces diamants qui semblent, en s’embrassant les uns les autres, quitter leur propre individualité pour mieux réfracter une lumière nouvelle.

L’approche du joaillier londonien Glenn Spiro, rappelle celle de son confrère parisien JAR : même volonté de rester loin des regards du grand public, même souci de confidentialité. 200 pièces sortent de ses ateliers genevois chaque année. Pas question de produire plus ni d’ouvrir des boutiques à droite et à gauche. Pas question non plus de céder à tous les caprices de ses clients, ni de créer une pièce qui ne corresponde pas à ses critères d’exigence en ce qui concerne la nature et la taille des pierres convoitées. « Quand on me demande un diamant taille princesse, je refuse. C’est une taille clinique, réalisable par ordinateur, je ne trouve pas ça émouvant. » Quinqagénaire élégant, ce joaillier anglais, passé chez Cartier et Christie’s, a passé sa vie à traquer les pierres les plus éblouissantes, à trouver et convaincre les meilleurs vendeurs de pierres. Le fil conducteur des créations de ce joaillier passé par Cartier et Christie’s n’est pas au fond, dans le design volontiers excubérant, mais dans la finesse d’exécution, dans le refus de la facilité. Ici, la pierre (de couleur) dicte tout. Elle impose sa loi aux lignes parfois modernistes, parfois bucoliques des montures de titane et de carbone. Une ode à l’artisanat et un cri d’amour au génie de Dame Nature. Pour les parisiennes, une occasion en or de rencontrer un joaillier rare sans avoir à se déplacer à Londres ou New-York.