D'où vient la bière Carlsberg ?
Ciel bas sur Copenhague. Autour du port, plusieurs grappes de touristes se massent près de la rive. A mesure que l'on approche, la Petite Sirène, inspirée du célèbre conte de fées d'Andersen, se dévoile. Depuis 1913, la sculpture gracieuse et longiligne accueille les voyageurs sur le quai de Langelinje. A première vue anodine, cette dernière cristallise les passions locales. On ne compte plus les happenings dont elle fut l'objet. Par deux fois décapitée, plusieurs fois amputée d'un bras, repeinte en rouge, rhabillée, déguisée… Restait un secret, relativement méconnu des touristes et du grand public : c'est à la firme Carlsberg et notamment à son fondateur, l'emblématique J.C. Jacobsen, que l'on doit ce haut lieu de la culture locale ! En 1909, séduit par la grâce de la danseuse Ellen Price, Jacobsen commande la sculpture à l'artiste Edvard Eriksen. Ainsi commence la formidable histoire de la Petite Sirène, et avec elle, celle du vaste patrimoine culturel léguée par l'entreprise Carlsberg à la capitale danoise.
1847. Pour répondre à l'appétence locale pour les bières blondes, J.C. Jacobsen décide de construire sa propre brasserie. Revenu de Munich, il installe alors sa première usine dans le quartier de Frederiksberg, au centre de Copenhague. Réputé pour la qualité de son eau, le quartier est dominé par une colline où Carl, le fils du fondateur, aime jouer. De cette anecdote naitra le nom de la société Carlsberg ("la montagne de Carl"). Aujourd'hui, cotée en bourse et employant plus de 41, 000 personnes, la modeste brasserie artisanale s'est transformée en géant de la bière. Avec un chiffre d'affaire de 9,48 milliards de dollars, Carlsberg s'est imposé dans le monde entier. Pour autant, les modes de fabrication n'ont que peu évolué. La recette originale du brasseur, à base d'eau, de malt et de houblon, chauffée dans de gigantesques cuves en cuivre a traversé les époques. En témoigne l'enthousiasmant projet "Rebrew". Pour l'occasion, des chercheurs ont recrée la première mouture de la bière d'antan à partir d'une levure extraite d'une bouteille de Carlsberg ayant survécu pendant 133 ans dans les vieilles caves de la brasserie ! Un véritable voyage dans le temps.
La redécouverte du gout des Carlsberg originales fut notamment rendue possible par l'action d'une entité unique : la fondation de l'entreprise, une des plus anciennes fondations industrielles au monde. Cas unique en son genre, le président de la fondation Carlsberg (dédiée au soutien des sciences, des lettres, des arts et de la culture) préside aussi le Conseil d'Administration de l'entreprise. Ses apports en termes de recherche permirent des avancées dépassant le cadre de la seule brasserie. Grand ami de Louis Pasteur, J.C. Jacobsen invita ainsi nombre d'hommes de sciences à Copenhague. Parmi les trouvailles à mettre au crédit de la fondation : l'échelle du PH mesurant l'acidité d'une solution liquide ou encore la Saccharomyces Carlsbergensis, une levure purifiée permettant de produire une bière parfaitement stable.
Le rayonnement de Carlsberg, devenue bière officielle du royaume du Danemark en 1904, ne saurait se résumer au travail de son laboratoire. Il est également visible, à quelques pas des somptueux jardin de Tivoli, à la Glyptotek, musée crée en 1897 par Carl Jabobsen, le fils du fondateur de l'entreprise. Dans ce havre de paix où tout n'est qu'ordre et beauté, luxe, calme et volupté, on découvre en flânant un nombre impressionnant d'antiquités égyptiennes, grecques et romaines. Soudain, les peintures impressionnistes réunies grâce au brasseur changent notre regard sur l'utilité sociale du breuvage. Ses vertus de partage ouvrent la Glyptoteket à un public de citoyens éclairés qui tranche avec les idées reçues. Résultat, on peut se perdre des heures dans les 66 salles du musée, entre sculptures de Rodin, toiles de Pissarro, Gauguin, Degas. Une jolie façon de terminer cette escapade à Copenhague, avant de reprendre l'avion pour Paris.
