En à peine six mois, le créateur Bruno Sialelli s’est révélé chez Lanvin, au point de réveiller enfin la belle endormie. Retour sur les premiers pas prometteurs de ce jeune trentenaire bien dans son époque, entre passion couture et vision stratégique.

L&rsquo;Officiel Hommes: Vous revenez du Japon, o&ugrave; vous &eacute;tiez parti juste apr&egrave;s le show Lanvin. Besoin de changer d&rsquo;air? 
Bruno Sialelli : De fa&ccedil;on g&eacute;n&eacute;rale, j&rsquo;aime beaucoup les voyages. &Agrave; dire vrai, toute l&rsquo;ann&eacute;e, je n&rsquo;attends que &ccedil;a ! Au quotidien, je suis un travailleur passionn&eacute;, voire acharn&eacute;. Retrousser mes manches ne me d&eacute;pla&icirc;t pas, mais j&rsquo;estime que sortir de chez soi est vital dans mon m&eacute;tier. La cr&eacute;ation est une gymnastique qui demande curiosit&eacute; et activit&eacute;. Plus on voyage, plus on s&rsquo;inspire, et plus l&rsquo;esprit en redemande.

 
Un nouveau poste en premi&egrave;re ligne, dans une maison, et dans un secteur en plein bouleversement: &ccedil;a fait beaucoup pour un seul homme? 

Il y a, pour moi et les &eacute;quipes, un vrai challenge &agrave; relever. L&rsquo;industrie du luxe vit un changement important, tr&egrave;s palpable. Apr&egrave;s, vous dire que &ccedil;a m&rsquo;impressionne ou me stimule, je ne sais pas. Les deux probablement. Il n&rsquo;est pas &eacute;vident, mais absolument n&eacute;cessaire, pour une maison&nbsp;comme Lanvin, de se replacer dans le jeu d&egrave;s maintenant. Les cartes sont en train d&rsquo;&ecirc;tre rebattues, et il faut en &ecirc;tre.

Comment &ldquo;l&rsquo;inconnu&rdquo; que vous &ecirc;tes (tel que vous a d&eacute;fini le New York Times) g&egrave;re-t-il cette pression ? 
Ce n&rsquo;est pas la premi&egrave;re fois que &ccedil;a arrive ! La logique veut qu&rsquo;un cr&eacute;ateur passe de l&rsquo;ombre &agrave; la lumi&egrave;re, et de fa&ccedil;on parfois tr&egrave;s soudaine, surtout dans le secteur de la mode. &Ccedil;a comporte ses avantages et ses inconv&eacute;nients. &Ecirc;tre en seconde ligne, comme je l&rsquo;ai &eacute;t&eacute; &agrave; mon poste pr&eacute;c&eacute;dent chez Loewe en tant que responsable du studio homme, prot&egrave;ge. Cela n&rsquo;enl&egrave;ve rien &agrave; l&rsquo;importance du travail fourni, &agrave; un poste cl&eacute; avec beaucoup de responsabilit&eacute;s, mais on ne prend jamais ni le cr&eacute;dit, ni le d&eacute;bit de ses actes. En revanche, les secondes lignes sont des profils tr&egrave;s recherch&eacute;s, de par leur exp&eacute;rience et leur comp&eacute;tence, et c&rsquo;est certainement cela qu&rsquo;une maison comme Lanvin est venue chercher chez moi. Et puis il y a une sorte de &ldquo;virginit&eacute;&rdquo; attirante : pas de passif, pas de formatage, pas de casseroles ! Je vois un seul inconv&eacute;nient : l&rsquo;absence de famille officielle, de communaut&eacute; glamour, dont on sait aujourd&rsquo;hui l&rsquo;importance que les marques lui accordent.

Vous seriez donc un &ldquo;asocial&rdquo; de la grande famille de la mode ? 
Absolument pas, au contraire ! N&rsquo;oubliez pas que je suis Marseillais! Mais on va dire que les d&icirc;ners mondains avec toute la clique n&rsquo;ont pas fait partie de mes priorit&eacute;s professionnelles ces dix derni&egrave;res ann&eacute;es! Mon r&eacute;seau, si j&rsquo;en ai un, est un r&eacute;seau de l&rsquo;ombre, et c&rsquo;est tr&egrave;s bien comme &ccedil;a. J&rsquo;ai l&rsquo;intention d&rsquo;agrandir la famille de fa&ccedil;on honn&ecirc;te, sinc&egrave;re. Avec des gens qui me parlent vraiment, comme le r&eacute;alisateur Abdellatif Kechiche, l&rsquo;actrice Hafsia Herzi, l&rsquo;&eacute;crivain Abdel Attia ou l&rsquo;acteur Tom Mercier (premier r&ocirc;le de Synonymes, Ours d&rsquo;or &agrave; Berlin, ndlr).

Bruno 2.jpg

Quel nouveau d&eacute;part souhaitez-vous donner &agrave; la marque? 
Pour l&rsquo;instant, je l&rsquo;int&egrave;gre et je la dig&egrave;re! La maison Lanvin a cette grande qualit&eacute; d&rsquo;avoir &agrave; la fois une forte personnalit&eacute;, tout en &eacute;tant beaucoup moins rigide qu&rsquo;on ne l&rsquo;imagine. J&rsquo;essaie jour apr&egrave;s jour d&rsquo;y trouver ma place et mon r&ocirc;le, en mettant en place une approche tr&egrave;s personnelle dans un cadre bien d&eacute;fini, riche d&rsquo;influences et d&rsquo;h&eacute;ritages qui ont jusqu&rsquo;&agrave; pr&eacute;sent permis ce renouvellement permanent. C&rsquo;est une maison qui repose sur le savoir-faire, j&rsquo;essaie donc de la r&eacute;inventer, de fa&ccedil;on tr&egrave;s pragmatique, mais en restant fid&egrave;le aux exigences du luxe. Il faut stimuler ses atouts! Et &agrave; l&rsquo;inverse lui apporter un &oelig;il frais sur l&rsquo;avenir, que mon &acirc;ge et mon parcours me permettent.

Comment travaillez-vous en interne avec les &eacute;quipes, et notamment avec Jean-Philippe Hecquet, le directeur g&eacute;n&eacute;ral de Lanvin, lui aussi r&eacute;cemment nomm&eacute;?

De mani&egrave;re g&eacute;n&eacute;rale, dans le secteur de la mode et en ce moment surtout, j&rsquo;estime que le regard de l&rsquo;autre est primordial. Je travaille de fa&ccedil;on tr&egrave;s transparente. Jean-Philippe et moi avons construit notre collaboration sur cette notion d&rsquo;&eacute;change permanent. Le merchan- dising, les nouveaux concepts de boutiques sur lesquels nous travaillons en ce moment, le e-commerce... m&rsquo;int&eacute;ressent autant que la cr&eacute;ation. Et &agrave; l&rsquo;inverse, mon studio est ouvert &agrave; tous. Mais on se prot&egrave;ge aussi les uns les autres, on veille &agrave; notre ind&eacute;pendance !

Comment d&eacute;finiriez-vous le style Lanvin? 
On s&rsquo;imagine toujours que, chez Lanvin, tout est question de glamour et de soir pour la femme, de formel et de technic-wear pour l&rsquo;homme. Mais j&rsquo;ai d&eacute;couvert que c&rsquo;est bien plus que cela, 130 ans d&rsquo;histoire! On oublie- rait presque que la marque &eacute;tait symbole de boh&egrave;me dans les ann&eacute;es 70, ou que Jeanne Lanvin avait une passion pour le monde de l&rsquo;enfance gr&acirc;ce &agrave; sa fille Marguerite. Cela fai- sait donc sens d&rsquo;explorer tout de suite ces deux&nbsp;univers. J&rsquo;ai commenc&eacute; par les traiter de fa&ccedil;on assez litt&eacute;rale dans la premi&egrave;re collection, avec l&rsquo;imagerie de Babar notamment, et maintenant je rationalise.

Dipl&ocirc;m&eacute; du Studio Ber&ccedil;ot, vous avez fait tr&egrave;s t&ocirc;t vos premiers pas en mode... 
Oui, l&rsquo;univers familial m&rsquo;y a pouss&eacute;, et j&rsquo;ai su tr&egrave;s jeune que je voulais en faire mon m&eacute;tier. &Agrave; 16 ans, j&rsquo;&eacute;tais costumier junior &agrave; l&rsquo;Op&eacute;ra de Marseille, et &agrave; 18 ans je montais &agrave; Paris. L&rsquo;id&eacute;e du costume et de la sc&egrave;ne, le go&ucirc;t du temps que l&rsquo;on accorde aux cr&eacute;ations un peu comme en couture, sont dans mon ADN. Je suis &agrave; la fois fascin&eacute; par l&rsquo;envers du d&eacute;cor, par le point de &ldquo;vous &agrave; moi&rdquo; (ou point couturi&egrave;re, ndlr) qui n&rsquo;a pas de secrets pour moi, et par la rue, la vraie.

Vous &ecirc;tes ensuite pass&eacute; par de prestigieuses maisons, connues pour leur c&ocirc;t&eacute; atypique. Ce parcours pointu a-t-il d&eacute;termin&eacute; votre venue chez Lanvin ? 
Entrer en stage chez Balenciaga, c&rsquo;&eacute;tait une obsession ! Ensuite, il y a eu Acne Studios et Loewe. Ce sont des marques que j&rsquo;aime pour leur langage, mais aussi pour leur approche du business. Elles sont tourn&eacute;es vers l&rsquo;ext&eacute;- rieur, la rue, leur public. Le merchandising y est aussi puissant que le studio de cr&eacute;ation. Tout &ccedil;a, c&rsquo;est s&ucirc;r, a influenc&eacute; mon travail, et c&rsquo;est sans doute cette double casquette qui a plu aux dirigeants. Nous souhaitons vivement d&eacute;velopper l&rsquo;&eacute;tendue des produits propos&eacute;s au catalogue, m&ecirc;me si c&rsquo;est loin d&rsquo;&ecirc;tre simple en terme de fabrication et de production. Encore faut-il, par la suite, trouver le juste &eacute;quilibre entre vouloir vendre des palanqu&eacute;es de tee-shirts et m&eacute;nager l&rsquo;image d&rsquo;une maison de luxe.

Que r&eacute;pondriez-vous &agrave; ceux qui trouvent que &ldquo;votre Lanvin&rdquo; est tr&egrave;s Loewe? 
C&rsquo;est normal, j&rsquo;en viens! Je n&rsquo;ai pas de pro- bl&egrave;me avec &ccedil;a, j&rsquo;ai toujours &eacute;t&eacute; honn&ecirc;te avec moi-m&ecirc;me. D&rsquo;ailleurs, j&rsquo;entends aussi dire que &ldquo;Loewe est moins Loewe&rdquo; depuis que j&rsquo;en suis&nbsp;parti ! Loewe est un tr&egrave;s beau projet, une tr&egrave;s belle marque, et nous comparer ne peut pas me nuire. Pas plus qu&rsquo;&agrave; Lanvin, un peu en gal&egrave;re d&rsquo;image depuis quelques ann&eacute;es et qui s&rsquo;&eacute;l&egrave;ve d&rsquo;autant en caract&egrave;re. Ceci dit, j&rsquo;aimerais bien avoir un jour un compte-rendu par le menu de tout ce qui est Loewe ou qui ne l&rsquo;est pas chez Lanvin !

Vous &ecirc;tes jeune, 31 ans. Votre &acirc;ge est-il un atout &agrave; ce poste? 
&Agrave; chaque &acirc;ge ses points forts, mais il est vrai que le mien me permet d&rsquo;&ecirc;tre au bon moment entre deux g&eacute;n&eacute;rations pivots. En plein culte de cette imagerie &ldquo;jeunesse &eacute;ternelle&rdquo; qui, a priori, pla&icirc;t &agrave; tout le monde !

Comment d&eacute;finiriez-vous le fil conducteur de vos deux premi&egrave;res collections, &ldquo;P&egrave;lerins mystiques&rdquo; et &ldquo;Plein soleil&rdquo;? 
Tout est dans la fa&ccedil;on de faire. Il faut d&eacute;finir un contexte, le bon lieu pour les pr&eacute;senter, le bon casting. Le dernier d&eacute;fil&eacute; homme, je l&rsquo;ai souhait&eacute; sain, sportif, bonne mine, &eacute;clectique, populaire, comme &ldquo;&eacute;lev&eacute;&rdquo;.

Logo &ldquo;L&rsquo;Arp&egrave;ge&rdquo; revisit&eacute; et d&eacute;tourn&eacute;, imprim&eacute; &ldquo;Babar&rdquo;, colliers croco, imprim&eacute; &ldquo;JL&rdquo;... La mode est-elle un jeu? 
Mais oui ! Elle doit toujours &ecirc;tre un jeu, m&ecirc;me quand elle est sombre. Empreinte de fra&icirc;cheur, de spontan&eacute;it&eacute;, chahut&eacute;e. Je suis rest&eacute; tr&egrave;s connect&eacute; &agrave; l&rsquo;enfant que j&rsquo;&eacute;tais et c&rsquo;est s&ucirc;rement ce qui m&rsquo;a reli&eacute; d&rsquo;instinct &agrave; l&rsquo;univers de Jeanne Lanvin, et qui fait que je me sens bien, &agrave; ma place, ici, aujourd&rsquo;hui.

En janvier 2020, cela fera un an que vous avez int&eacute;gr&eacute; la maison Lanvin. Les choses s&eacute;rieuses vont commencer ? 
Elles ont d&eacute;j&agrave; commenc&eacute;, mais il est vrai que la premi&egrave;re ann&eacute;e correspond toujours pour moi &agrave; a la mise en place d&rsquo;une table des mati&egrave;res. Ensuite viennent les premi&egrave;res prises de parole, la premi&egrave;re campagne, l&rsquo;instauration d&rsquo;un vocabulaire. Je vais r&eacute;inventer tout &ccedil;a.

Bruno Sialelli : un outsider providentiel chez Lanvin

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