D’une réalité indéterminée dans la vraie vie, ils pullulent dans les albums de BD et colonisent régulièrement les écrans de cinéma. Mais dès la fin des années 1950, les super-héros ont essaimé dans l’imaginaire des artistes. De la peinture à la sculpture en passant par la photographie et l’installation, tous les médiums ont concouru à incarner des figures totémiques de la culture américaine. Suivant une grille de lecture diverse...

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Analyser le continuum soci&eacute;tal, s&rsquo;y inscrire, se saisir des faits et des figures, historiques ou du moment&nbsp;: telle est l&rsquo;une des ambitions de l&rsquo;art contemporain. Les plus que h&eacute;ros, car flanqu&eacute;s d&rsquo;un superlatif, mis au point par une Am&eacute;rique en veine de sens, d&rsquo;&eacute;paisseur et de mod&egrave;les d&rsquo;identification ne pouvaient &eacute;chapper &agrave; une radiographie en r&egrave;gle. L&agrave;, surgit une ligne de fracture, un oc&eacute;an plut&ocirc;t, suivant que l&rsquo;on se situe sur une rive ou l&rsquo;autre de l&rsquo;Atlantique. Born in the USA ou issu du Vieux Continent. Apologie versus entreprise de destruction. Car c&rsquo;est bien un antagonisme que trace les tenants d&rsquo;une glorification des personnages de la culture populaire, pour mieux h&eacute;ro&iuml;ciser l&rsquo;american way of life. Les initiateurs de la d&eacute;marche sont issus du pop art, Roy Lichtenstein en &eacute;claireur, puis Andy Warhol. &ldquo;Les h&eacute;ros entrent en sc&egrave;ne dans l&rsquo;espace de la peinture car ils parlent &agrave; tous et offrent une vision joyeuse et aventureuse de l&rsquo;Am&eacute;rique&rdquo;, indique Bernard Blist&egrave;ne, directeur du Mus&eacute;e national d&rsquo;art moderne - Centre Pompidou. Le premier allant jusqu&rsquo;&agrave; s&rsquo;approprier la dynamique de langage des interjections et onomatop&eacute;es qui scandent les comics, &ldquo;g&eacute;n&eacute;rant d&rsquo;un point de vue plastique des formes in&eacute;dites&rdquo;. Certes, ces figures peintes nourrissent l&rsquo;ego am&eacute;ricain, mais elles apparaissent aussi en r&eacute;action &agrave; la domination de l&rsquo;abstraction et de l&rsquo;expressionnisme.

&ldquo;O&ugrave; diable &eacute;taient les super-h&eacute;ros, ce 4 avril 1968 lorsqu&rsquo;un sniper abattit de plusieurs coups de feu Martin Luther King, sorti un instant sur le balcon de sa chambre d&rsquo;h&ocirc;tel de Memphis, Tennessee&nbsp;?&rdquo;

Du c&ocirc;t&eacute; de la figuration narrative, un artiste tel que Erro en fait la matrice de ses &oelig;uvres, mais il les restitue grima&ccedil;ants. Dans les ann&eacute;es 1990, les plasticiens d&eacute;ploient leurs &oelig;uvres dans l&rsquo;espace, &agrave; l&rsquo;instar de Mike Kelley qui met au point une immense installation o&ugrave; Superman d&eacute;ambule, m&eacute;ditatif, une reproduction de sa ville natale de Kandor sous cloche de verre. Bien que la vision de Kelley d&eacute;veloppe un imaginaire empreint de profonde solitude dans lequel &eacute;volue Superman, et auquel l&rsquo;artiste s&rsquo;identifie, on demeure fix&eacute; sur une vision plus narrative, &ndash; aussi c&eacute;r&eacute;brale et puissante soit-elle chez Kelley &ndash;, que critique. &ldquo;L&rsquo;ironie, souligne Blist&egrave;ne, c&rsquo;est du temps perdu, m&rsquo;indiquait un journaliste am&eacute;ricain, cela met en relief le rapport au temps qui prend une dimension r&eacute;flexive et critique tr&egrave;s diff&eacute;rente chez les Am&eacute;ricains&rdquo;. En Europe, dans les ann&eacute;es 1990 et 2000, le sort r&eacute;serv&eacute; aux super-h&eacute;ros est tout autre, il s&rsquo;agit d&rsquo;une sorte de b&ucirc;cher des vanit&eacute;s que d&eacute;finissent la plupart des artistes &ndash; principalement fran&ccedil;ais &ndash;, une repr&eacute;sentation caricaturale, ostensiblement d&eacute;l&eacute;t&egrave;re.

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Virginie Barr&eacute; livre ainsi des super-h&eacute;ros en surpoids, Gilles Barbier les installe en fauteuil roulant, ou les place sous perfusion m&eacute;dicale. Figures atrophi&eacute;es, d&eacute;glingu&eacute;es, vaincues. A l&rsquo;oppos&eacute; de la culture qu&rsquo;ils &eacute;taient cens&eacute;s id&eacute;aliser. En mani&egrave;re de d&eacute;nonciation de la dimension glorieuse et purement spectaculaire du mythe am&eacute;ricain. Pour montrer l&rsquo;&eacute;tat du monde, &ocirc; combien d&eacute;senchant&eacute;, dans lequel nous &eacute;voluons. Super-h&eacute;ros n&eacute;s &agrave; la peinture au tournant des ann&eacute;es 1950, dans une Am&eacute;rique qui, il n&rsquo;est pas indiff&eacute;rent de le rappeler, attendra 1964 pour abolir la s&eacute;gr&eacute;gation raciale. Avant d&rsquo;assassiner l&rsquo;un de ses h&eacute;rauts de la non-violence. O&ugrave; diable &eacute;taient les super-h&eacute;ros, ce 4 avril 1968 lorsqu&rsquo;un sniper abattit de plusieurs coups de feu Martin Luther King, sorti un instant sur le balcon de sa chambre d&rsquo;h&ocirc;tel de Memphis, Tennessee&nbsp;?

Immense artiste, l&rsquo;Am&eacute;ricain Mike Kelley (1954-2012) a r&eacute;alis&eacute; pr&egrave;s d&rsquo;une centaine de variations de Kandor, la capitale perdue de la plan&egrave;te Krypton, dont est originaire Superman. Condamn&eacute; &agrave; une vie d&rsquo;errance et de solitude, il est ici montr&eacute; &agrave; l&rsquo;image de l&rsquo;artiste&nbsp;: &ldquo;Kandor agit pour Superman comme un t&eacute;moin perp&eacute;tuel de l&rsquo;impossibilit&eacute; qui lui est faite d&rsquo;&eacute;chapper &agrave; son pass&eacute;, et son ind&eacute;fectible ali&eacute;nation au temps pr&eacute;sent&rdquo;. Relations sociales, identit&eacute; culturelle et syst&egrave;mes de pens&eacute;e ont &eacute;t&eacute; au c&oelig;ur d&rsquo;une &oelig;uvre foisonnante, que Mike Kelley a choisi de ne pas poursuivre, en se donnant la mort le 31 janvier 2012.

Mike Kelley : image extraite de la vidéo Superman Recites Selections from “The Bell Jar” et autres œuvres de Sylvia Plath.

Saisi par le manque d&rsquo;humanit&eacute; qui caract&eacute;rise nos soci&eacute;t&eacute;s fig&eacute;es dans un individualisme forcen&eacute;, Adrian Tranquilli prend le contrepied en d&eacute;voilant la dimension intimiste des h&eacute;ros, issus des croyances populaires et des comics. Envisag&eacute;s dans leur potentielle fragilit&eacute;, loin de toute morgue de fa&ccedil;ade, ils ont d&eacute;pos&eacute; les armes, acceptant de se livrer dans toute leur vuln&eacute;rabilit&eacute; &eacute;motionnelle. Une mani&egrave;re d&rsquo;acc&eacute;der &agrave; une autre forme de splendeur&nbsp;?

Adrian Tranquilli : de gauche à droite, “Until the end”, 2003, fibre de verre et techniques mixtes.

En puisant dans les techniques du graffiti des ann&eacute;es 1980, mais aussi dans l&rsquo;esprit inh&eacute;rent &agrave; la culture pop, Peterson extrait des figures qu&rsquo;il ins&egrave;re dans un ensemble o&ugrave; la multiplicit&eacute; des entr&eacute;es visuelles n&rsquo;est pas sans &eacute;voquer le principe des cases de la bande dessin&eacute;e. L&rsquo;&oelig;il navigue d&rsquo;une histoire &agrave; l&rsquo;autre, reconstituant une narration personnelle o&ugrave;, parfois, &eacute;mergent des super-h&eacute;ros, camp&eacute;s sur leurs jambes, pr&ecirc;ts &agrave; en d&eacute;coudre.

Oliver Peterson : “Risk”, 2011, techniques mixtes sur toile. 

Batman et Spiderman ont certes forc&eacute; sur les sucreries, mais leur (sur)poids ne les emp&ecirc;che nullement de poursuivre leur id&eacute;al&nbsp;: ils vaquent &agrave; leurs occupations, tels qu&rsquo;en eux-m&ecirc;mes. En leur accordant de solides &eacute;carts de table, l&rsquo;artiste leur rendrait-elle leur humanit&eacute; ?

Les super-héros existent-ils ?

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